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 ''Tout est grâce''

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coeurtendre
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coeurtendre

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MessageSujet: ''Tout est grâce''    grâce - ''Tout est grâce''  Icon_minitimeLun 13 Sep - 13:31

grâce - ''Tout est grâce''  54aueeg7

grâce - ''Tout est grâce''  Angelus 

Le P. Michel Erloff avait été désigné pour être aumônier de camp des personnes déplacées ou expulsées. Il avait rêvé d'aller en Afrique. Il s'était préparé de tout coeur à cet apostolat. Il aurait bien voulu se consacrer aux ''sauvages'' de la brousse africaine de préférence aux Européens, car ceux-ci montraient depuis dix ans, plus de sauvagerie que les indigènes. Lui-même avait traversé de terribles épreuves dans l'Europe civilisée. Lorsqu'il avait six ans ses parents furent assassinés parce qu'ils étaient bons catholiques. Sa soeur disparut sans laisser de traces. Le raz-de-marée avait englouti toute sa famille. Sa bonne réussit à le mettre en sécurité en France, puis la guerre éclata, il fut interné et connut la dure vie des camps.

Maintenant le P. Michel Erloff devait de nouveau affronter la misère de l'exil, de la séparation, de l'amertume, du désespoir et de la haine. Un Père de son Ordre l'avait demandé juste deux jours avant son départ pour l'Afrique, car un seul prêtre ne suffisait pas au ministère du camp et le P. Erloff connaissait plusieurs langues européennes. Son supérieur l'avait consolé :

''Il semble que c'est une indication de la Providence, dit-il, votre place n'est pas en Afrique mais au camp des personnes déplacées. Il n'y a pas de hasard, tout est grâce. La Providence a toujours un dessein défini, même s'il nous est provisoirement caché. Une seule âme vous attend peut-être là-bas. Elle vaut le sacrifice que vous faites. Allez donc.''

Le Père obéit, non sans lutte intérieure. Au camp, il conquit vite les coeurs de tous, même des incroyants, car il était bon et paternel. Du matin au soir il rendait visite aux misérables baraques et se dévouait sans compter. Seules quelques personnes avaient envers lui une attitude farouche.

Il y avait là un homme, jeune encore, aux yeux brûlants, qui avait perdu sa femme et ses enfants. Désespéré, il ne cessait de répéter au Père : ''Il ne reste qu'une liberté : c'est de haïr. Je ne veux pas me laisser prendre'' Il y avait aussi une femme qui l'évitait. Elle portait un nom étrange. Dès qu'elle le voyait venir, elle s'enfermait précipitamment.

Un soir, cependant, on frappa à la porte du Père. Il ouvrit et apprit que la farouche étrangère avait une grave attaque. Elle était haletante et répétait continuellement ce mot : ''Enfer, enfer.''

Le P. Michel alla aussitôt. En voyant la malade il dit à la personne qui l'avait appelé : Laissez-nous seuls et appelez un médecin. C'est urgent.''

'' Qui êtes-vous? murmura soudain la malade. Je vous ai déjà vu, mais je ne sais où.'' ''Je suis prêtre, le reste n'a pas d'importance. Mais je ne crois pas vous avoir jamais rencontrée.'' À peine avait-il dit cela qu'il s'arrêta, car il lui sembla avoir déjà vu la malade quelque part. La pauvre femme s'écria : ''Je meurs et je serai damnée.''

P. Michel lui répondit : Non, vous pouvez être sauvée, si vous le voulez. Ne voudriez-vous pas vous confesser?'' Un profond désespoir apparut dans le regard de la malade.

Elle répondit : ''Non, je ne peux pas être pardonnée.''

P. Michel : ''Dieu pardonne tout à tous.''

La femme répondit : ''Dieu peut-être, mais les hommes ne pardonnent pas, même au Ciel. Si je les rencontrais, ils seraient obligés de me maudire.''

P. Michel : ''Personne ne maudit, au Ciel''
La malade secoua la tête.

La femme répondit : ''Vous dites cela, parce que vous ne savez rien de moi. Écoutez. L'effort que je fais pour parler sera peut-être ma mort, mais peu m'importe. Je n'ai plus de famille ni de patrie. La guerre m'a fait échouer ici... On a forcé mes parents à m'envoyer à l'école du diable où on m'enseigna deux choses : l'athéisme et la haine. J'appris à haïr même ma famille. J'avais quatorze ans quand mes maîtres m'amenèrent à dénoncer mes propres parents. Leur crime : ils étaient catholiques, faisaient leur prière et cachaient leurs icônes. On les arrêta. Mais moi, j'étais contente que mes parents ne puissent plus me reprocher mon athéisme. Le lendemain ils furent fusillés. J'ai vu leurs cadavres avant qu'on les brûlât. Je suis damnée. J'irai en enfer, croyez-moi. Il y a longtemps que je ne crois plus en l'idéal pour lequel j'ai ainsi agi. J'ai jeté un coup d'oeil derrière les coulisses. Je sais aujourd'hui ce que j'ai perdu alors. Pourquoi n'ai-je pas accompagné mon frère Michel en France? Mais il n'avait que six ans et Aniouta ne pouvait pas m'emmener sans passeport.''

Le Père se pencha sur elle. Il tremblait de tout son corps. Ces noms! Était-ce possible? Il entendit alors comme de très loin les paroles de son supérieur : ''Cher Père, rien n'est l'effet du hasard, tout est grâce.'' Y avait-il ici grâce providentielle? Il réprima son horreur bien naturelle du parricide, se pencha sur la mourante et lui dit doucement : ''Anne''.

Les yeux qui s'étaient fermés d'épuisement se rouvrirent, inquiets.
''Qu'avez-vous dit? Personne ne m'appelle plus ainsi, personne depuis que...''

Le prêtre prit la main froide et répéta :
''Anne, ma soeur, Anne.''
''Votre soeur? Oh Père Michel... le Père Michel Erloff?''

Épuisée et troublée, Anne Erloff bégaie : ''Toi, vous. Et c'est à vous que je confesse mon crime, à vous!''

Père Michel : ''Oui, tu m'as fait ta confession, tu m'as dit le pire de tes péchés. Dieu a voulu que je te pardonne au nom de tes victimes. J'en ai le droit. Et au nom du Christ aussi. Repens-toi de tout ton coeur. Je...''

Il s'arrêta un moment et continua : ''Je n'ai pas voulu venir au camp. Je voulais aller aux Missions. Mais Dieu m'a envoyé à toi, parce que nos parents martyrs le veulent aussi.''
La mourante étreint la main de son frère : ''Michel, que leur dirai-je, si tu m'ouvres le Ciel?''

Père Michel répondit : ''Rappelle-toi la parabole de l'enfant prodigue.''
La femme mourante : ''Oui, je la sais encore.''
La mourante lève les yeux au Ciel qui va l'accueillir et murmure : ''Père,...mère,... j'ai péché envers le ciel et vous...''
Ses mains se contractent sur sa poitrine. Une nouvelle attaque s'annonce, la dernière, mortelle. Le Père Michel lève la main pour l'absolution.

Que lui avait dit son supérieur en lui demandant de renoncer à l'Afrique malgré sa déception? ''Rien n'est l'effet du hasard, tout est grâce. La Providence poursuit toujours son dessein..." Il le savait, maintenant, que tout est grâce''


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