Seul celui qui a ressenti la tendresse de l'étreinte du Père, telle que l'Évangile la décrit dans la parabole de l'enfant prodigue — « il courut se jeter à son cou et il le couvrit de baisers! » (Luc 15, 20) —, seul celui-là peut transmettre aux autres la même chaleur, quand de destinataire du pardon il en devient le ministre. Chers prêtres, les témoignages de Pierre et de Paul contiennent de précieuses indications pour nous. Ils nous invitent à vivre avec le sens d'une infinie gratitude le don du ministère: nous n'avons rien mérité, tout est grâce! L'expérience des deux Apôtres nous invite en même temps à nous abandonner à la miséricorde de Dieu, pour lui remettre nos fragilités avec un sincère repentir, et reprendre avec sa grâce notre chemin de sainteté. Dans la lettre Novo millennio ineunte, j'ai indiqué l'engagement à la sainteté comme le premier point d'un sage « programme » pastoral. C'est l'engagement fondamental de tous les croyants, à plus forte raison le nôtre !
À cette fin, il est important pour nous de redécouvrir le sacrement de la Réconciliation comme moyen fondamental de notre sanctification. Nous approcher d'un frère prêtre pour lui demander l'absolution que nous-mêmes donnons tant de fois à nos fidèles nous fait vivre cette grande et consolante vérité : avant même d'en être les ministres, nous sommes les membres d'un unique peuple, un peuple de « sauvés ». Ce que disait saint Augustin de sa charge épiscopale vaut aussi pour le service presbytéral: « Ce que je suis pour vous me terrifie, mais ce que je suis avec vous me console: car pour vous je suis évêque, avec vous, je suis chrétien. Le premier titre est celui d'une charge, le second, d'une grâce. Celui-là désigne le péril, celui-ci, le salut » (Sermon 340, 1). Il est beau de pouvoir confesser nos péchés, et d'entendre la parole qui est comme un baume qui nous inonde de miséricorde et nous remet en chemin. Seul celui qui a ressenti la tendresse de l'étreinte du Père, telle que l'Évangile la décrit dans la parabole de l'enfant prodigue — « il courut se jeter à son cou et il le couvrit de baisers! » (Lc 15, 20) —, seul celui-là peut transmettre aux autres la même chaleur, quand de destinataire du pardon il en devient le ministre.
Demandons donc au Christ, en cette sainte journée, de nous aider à redécouvrir pleinement, pour nous-mêmes, la beauté de ce sacrement. Jésus lui-même n'a-t-il pas aidé Pierre dans cette découverte? « Si je ne te lave pas, tu n'auras point de part avec moi » (Jn 13, 8 ). Bien sûr, à ce moment-là Jésus ne se référait pas directement au sacrement de la Réconciliation, mais d'une certaine manière il l'évoquait, faisant allusion au processus de purification que sa mort rédemptrice allait engager et que l'économie sacramentelle allait appliquer aux individus dans la suite des siècles.
Ayons donc recours avec assiduité, chers prêtres, à ce sacrement, pour que le Seigneur puisse purifier constamment notre cœur en nous rendant moins indignes des mystères que nous célébrons. Appelés à rendre présent le visage du Bon Pasteur, et donc à avoir le cœur même du Christ, nous devons, plus que les autres, faire nôtre l'intense supplication du psalmiste: « Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu, renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit » (Ps 50, 12). Le sacrement de la Réconciliation, irremplaçable pour toute vie chrétienne, se présente aussi comme soutien, orientation et remède de la vie sacerdotale.
Le prêtre qui fait pleinement l'expérience joyeuse de la réconciliation sacramentelle trouve tout naturel de redire à ses frères les paroles de Paul: « Nous sommes les ambassadeurs du Christ, et par nous c'est Dieu lui-même qui, en fait, vous adresse un appel. Au nom du Christ, nous vous le demandons, laissez-vous réconcilier avec Dieu » (2 Co 5, 20).
Si la crise du sacrement de la Réconciliation, que je viens de mentionner, dépend de multiples facteurs — de l'amoindrissement du sens du péché à la perception appauvrie de l'économie sacramentelle par laquelle Dieu nous sauve —, nous devons peut-être reconnaître que parfois a pu jouer aussi en défaveur du sacrement un certain affaiblissement de notre enthousiasme ou de notre disponibilité dans l'exercice de ce ministère exigeant et délicat.
Il faut au contraire et plus que jamais le faire redécouvrir au peuple de Dieu. Il est nécessaire de dire avec fermeté et conviction que le sacrement de Pénitence est la voie ordinaire pour obtenir le pardon et la rémission des péchés graves commis après le baptême. Il est nécessaire de célébrer le sacrement le mieux possible, dans les formes liturgiques prévues, pour que soit pleinement conservé son caractère de célébration de la miséricorde divine.
Pour nous rendre confiance dans la possibilité d'une reprise de ce sacrement, il y a non seulement une nouvelle urgence de vie spirituelle qui, malgré bien des contradictions, refait surface dans beaucoup de milieux sociaux, mais aussi le vif besoin de rencontres interpersonnelles, qui s'affirme peu à peu chez beaucoup de personnes en réaction à une société anonyme et massificatrice, qui condamne souvent à l'isolement intérieur même quand elle entraîne dans un tourbillon de relations professionnelles. Assurément, on ne doit pas confondre la confession sacramentelle avec la pratique d'un soutien humain ou d'une thérapie psychologique. Toutefois il ne faut pas sous-estimer le fait que, bien vécu, le sacrement de la Réconciliation joue sûrement aussi un rôle « humanisant », qui se conjugue tout à fait avec sa valeur première de réconciliation avec Dieu et avec l'Église.
Il est important que, de ce point de vue aussi, le ministre de la réconciliation accomplisse bien sa charge. Sa capacité d'accueil, d'écoute, de dialogue, sa disponibilité jamais démentie, sont des éléments essentiels pour que le ministère de la réconciliation puisse se manifester dans toute sa valeur. L'annonce fidèle, sans jamais aucune réticence, des exigences radicales de la Parole de Dieu doit toujours s'accompagner d'une grande compréhension et d'une grande délicatesse, à l'imitation de l'attitude de Jésus envers les pécheurs.
Il faut aussi donner toute son importance à la forme liturgique du sacrement. Le sacrement prend place dans la logique de communion qui caractérise l'Église. Le péché lui-même ne se comprend pas à fond si on le considère seulement comme une affaire « privée », oubliant qu'il concerne inévitablement la communauté entière et qu'il diminue son degré de sainteté. À plus forte raison, le don du pardon, dont la logique sacramentelle repose sur l'union profonde qui subsiste entre le Christ Tête et ses membres, exprime un mystère de solidarité surnaturelle.
Faire redécouvrir cet aspect de « communion » du sacrement, notamment à travers des liturgies pénitentielles communautaires qui se concluent par la confession et l'absolution individuelles, est d'une grande importance, car cela permet aux fidèles de mieux percevoir la double dimension de la réconciliation et les engage davantage à vivre leur chemin pénitentiel dans toute sa richesse régénératrice.
Reste par ailleurs le problème fondamental d'une catéchèse sur le sens moral et sur le péché, qui fasse prendre plus clairement conscience du caractère radical des exigences évangéliques. Il existe malheureusement une tendance minimaliste qui empêche que le sacrement porte tous les fruits souhaitables. Pour beaucoup de fidèles, la perception du péché n'est pas mesurée à l'aune de l'Évangile, mais à celle des « lieux communs », de la « normalité » sociologique, qui laisse penser que l'on n'est pas particulièrement responsable de ce que « tout le monde fait », encore moins si c'est légalisé sur le plan civil.
L'évangélisation du troisième millénaire doit résoudre la question de l'urgence d'une présentation vivante, complète, exigeante, du message évangélique. Le christianisme que l'on doit viser ne peut se réduire à un médiocre engagement à vivre honnêtement selon des critères sociologiques, mais il doit tendre véritablement à la sainteté. Nous devons relire avec un nouvel enthousiasme le chapitre V de Lumen gentium, qui traite de la vocation universelle à la sainteté. Être chrétien signifie recevoir un « don » de grâce sanctifiante qui ne peut pas ne pas se traduire par un « engagement » à y répondre personnellement dans la vie quotidienne. Ce n'est pas par hasard que j'ai cherché toutes ces années à promouvoir à une plus grande échelle la reconnaissance de la sainteté, dans tous les milieux où elle s'est manifestée, afin que puissent être offerts à tous les chrétiens de multiples modèles de sainteté, et que tous se rappellent qu'ils y sont personnellement appelés.
Chers frères prêtres, allons de l'avant dans la joie de notre ministère, sachant que nous avons à nos côtés Celui qui nous a appelés et qui ne nous abandonne pas. Que la certitude de sa présence nous soutienne et nous console!
À l'occasion du Jeudi saint, nous sentons encore plus vivement sa présence lorsque nous nous mettons en contemplation émue de l'heure où Jésus, au Cénacle, s'est donné lui-même à nous sous le signe du pain et du vin, anticipant sacramentellement le sacrifice de la Croix. L'an dernier, j'ai voulu vous écrire du Cénacle même, à l'occasion de ma visite en Terre sainte. Comment oublier ce moment émouvant? Je le revis aujourd'hui, non sans tristesse pour la situation si tourmentée dans laquelle continue de plonger la terre du Christ. Notre rendez-vous spirituel pour le Jeudi saint est encore là, au Cénacle, tandis que, réunis autour des Évêques, dans les cathédrales du monde entier, nous vivons le mystère du Corps et du Sang du Christ et que nous faisons mémoire avec reconnaissance des origines de notre sacerdoce.
Dans la joie du don immense qu'ensemble nous avons reçu, je vous embrasse tous et je vous bénis.Du Vatican, le 25 mars 2001, quatrième Dimanche de Carême, en la vingt-troisième année de mon pontificat.
Jean-Paul II