Voici l'histoire de Coco ma mainate...
Pour ma mainate, c'était un oiseau parleur qui disait How are you et Allô chéri à chaque fois qu'elle entendait la sonnette de la porte ou celle du téléphone, ou quand elle voyait une personne. Elle le répétait toujours 4 à 5 fois. Si la personne était nouvelle, elle doublait ou triplait son dialogue, comme on dit, elle avait le tour d'attirer toute l'attention sur elle.
Comme je gardais des jeunes de la rue pour leur venir en aide, je trouvais utile de garder quelques animaux pour mettre une belle ambiance de vie dans la maison. Un jour durant l'hiver, il faisait une grosse tempête avec un froid glacial ; je reçois un appel vers 23 heures pm, on me dit que c'est très urgent et on me demande si j'accepterais de garder en dépannage un homme pour quelques nuits à cause du manque de place dans les Centres d'hébergement pour adultes. Nous étions dans les années 1978-80. On n'avait jamais entendu parler de pédophilie à cette époque, alors en espérant venir en aide à cet homme, nous l'avons accueilli car il nous était référé par une paroisse qui connaissait très bien la qualité de notre accueil.
Durant la nuit, j'entends un boum comme si on défonçait un mur. Je me suis levé aussi vite que si c'était une alarme pour le feu. Cet homme s'était levé en voulant agresser un jeune dans le foyer. Quand je suis arrivé sur les lieux, je lui ai demandé de partir ; avant de franchir le seuil de la porte, il m'a sauté dessus mais j'ai réussi à le mettre à la porte malgré ses excès de violence.
Le lundi suivant, je vois par la fenêtre deux hommes habillés sur le 90, avec une cravate, se dirigeant vers la porte d'entrée ; je pensais que c'était des témoins de Jéhovah. Mais à ma très grande surprise, c'était un avocat qui se présentait avec son secrétaire en me racontant l'histoire en lien avec l'homme que nous avions voulu dépanner. Quelle ne fut pas ma surprise, en effet, d'apprendre que j'étais accusé de lui avoir cassé les deux bras durant la nuit où il s'était fait mettre à la porte. Comme ces faits devaient passer à la cour, il fallait que je me présente à une date qui m'a été confirmée par l`avocat, ensuite ils sont partis tous les deux. Les jours de la semaine, les jeunes étaient presque tous absents pour l'école. Je me croyais dans un gag juste pour rire, et pourtant c'était la réalité.
Dans l'après-midi, une auto patrouille se présente, et deux policiers sonnent à la porte ; alors comme je venais de rencontrer les deux avocats, je n'étais pas surpris de la visite des policiers. Comme nous gardions des jeunes de la rue, les voisins avaient l'habitude de voir de temps en temps des policiers qui venaient parfois faire une enquête sur le comportement de certains jeunes qui avaient commis des vols avant d'être placés dans notre foyer de dépannage.
C'est alors que j'ai eu la surprise de ma vie ; les deux policiers sonnent, et juste au moment où ils me demandent si je suis seul, je réponds : Oui, les jeunes sont aux études, et voilà que ma mainate répète 4 ou 5 fois How are you, Allô chéri... Les policiers me regardent et me demandent une deuxième fois : Êtes-vous toujours seul? Je réponds oui. Un des policiers me demande : Vous n'entendez pas parler, vous êtes seul?... Je réponds : Oui, je suis seul, c'est mon oiseau qui parle...
Les deux policiers me disent : Et puis votre oiseau, c'est lui qui parle, en plus yé bilingue! Je veux l'entendre et le voir de mes yeux et de mes oreilles. Il s'approche de mon bureau et dès que ma mainate recommençe à parler, un des policiers dit à l'autre : Va, appelle les gars, dis-leur de venir voir ça tout de suite. Ils m'ont questionné au sujet de ce qui s'était passé durant la nuit, quand j'ai accueilli cet individu qui avait beaucoup plus besoin d'abuser un jeune qu'il pouvait avoir besoin d'un abri.
Le policier partit, ensuite à ma très grande surprise, quatre autres policiers sont venus d'ici et là pour entendre ma mainate parler. On aurait dit que plus le nombre des policiers augmentait, plus elle devenait répétitive et excessive, elle n'avait jamais autant parlé dans une seule journée. Vers la fin de la journée, trois autres policiers sont venus en me demandant si c'était bien ici qu'il y avait un oiseau bilingue, ils voulaient le voir et l'entendre. Vous pouvez être certain que nos voisins voulaient savoir pourquoi autant de policiers débarquaient en une seule journée, dans un lieu de dépannage pour les jeunes de 10 à 14 ans.
Je n'ai jamais oublié ces histoires avec des animaux qui nous ont permis d'avoir beaucoup de visites. Pour ce qui est de l'homme qui a attaqué un jeune durant la nuit, je suis passé en cour 3 fois, et l'homme, lui, ne se présentait jamais, alors on me donnait une nouvelle date de comparution. Entre temps, j'ai rencontré une communauté à laquelle j'ai raconté l'histoire de cet homme. Dès que j'ai eu prononcé ses nom et prénom, un des religieux m'a coupé la parole en me disant : C'est le même que nous avons gardé dans les années passées, et nous aussi nous l'avons mis à la porte pour les mêmes raisons ; ensuite il s'est cassé les deux bras et il nous a poursuivis comme il l'a fait avec toi.
Mon Dieu, comme j'étais soulagé d'entendre un tel témoignage! mais j'avais hâte de voir la fin de cette histoire. La dernière fois que je devais me présenter à la cour, les policiers ont fait une erreur, ils sont venus m'arrêter pour me mettre en prison, en pensant que c'était moi qui ne m'étais jamais présenté à la cour. Je suis resté une partie de l'après-midi derrière les barreaux. J'ai fait appel à un avocat qui, en vérifiant mon dossier, s'est aperçu de l'erreur, il m'a fait libérer. Quelques semaines après, j'ai reçu un appel de la cour pour me dire que la poursuite avait été annulée parce qu'ils avaient fait le lien avec d'autres faux témoignages concernant la même personne et le même procédé - pour la simple raison qu'il voulait se venger d'avoir été mis à la porte aux petites heures du matin.
Pourtant, bien que mon histoire ait été tragique, ce que j'en retiens le plus, de cette histoire, c'est ma rencontre avec les policiers et leur réaction avec mon oiseau qui s'appelait Coco.