Il y a un discours préparé de huit pages… Au bout de la troisième, rares seront ceux qui écouteront! Je vous le remets et je voudrais parler un peu spontanément de certaines choses que je ressens.
Merci pour votre visite et merci, père Bartolomeo [Sorge, S.J.], d’être venu. Avec le père Bartolomeo, nous avons participé à la 32e congrégation générale [des jésuites] en 74, vous vous souvenez? Ces luttes internes, ces problèmes… Il a été pionnier en cela et je le remercie. Et [je vous remercie] vous aussi, de porter les racines, la mémoire du développement du travail social, qui est important. Ne perdez pas votre courage parce que récemment j’ai lu quelque chose d’une clarté qui a fait trembler, je ne dis pas la politique italienne, mais assurément au moins l’Eglise italienne! Merci, merci à vous tous. Une chose qu’a dite le père Costa [directeur de la revue]: écouter. On ne peut jamais donner d’orientation, de route, de suggestion, sans écouter. L’écoute est vraiment l’attitude fondamentale de toute personne qui veut faire quelque chose pour les autres. Ecouter les situations, écouter les problèmes, ouvertement, sans préjugés.
«Tu as dit cela… ». Non, sans préjugés. Parce qu’il y a une façon d’écouter qui est: «Oui, oui, j’ai compris, oui, oui… » et je le réduis, un réductionnisme selon mes catégories. Et cela ne va pas. Ecouter, c’est se laisser frapper par la réalité. Et parfois, les propres catégories disparaissent ou se réorganisent. L’écoute doit être le premier pas, mais il faut le faire en ayant l’esprit et le cœur ouverts, sans préjugés. Le monde des préjugés, des «écoles de pensée», des prises de position fait beaucoup de mal… Aujourd’hui, par exemple, en Europe, nous vivons le préjugé des populismes, les pays se referment et les idéologies sont de retour. Mais pas seulement de nouvelles idéologies — il y en a quelques-unes — ce sont les vieilles idéologies qui reviennent, les vieilles idéologies qui ont provoqué la seconde guerre mondiale. Pourquoi? Parce qu’on n’écoute pas la réalité telle qu’elle est. Il y a une projection de ce que je veux que l’on fasse, ce que je veux que l’on pense, qu’il y ait… C’est un complexe qui fait que nous remplaçons le Dieu créateur: nous prenons la situation en main et nous agissons: la réalité est celle que je veux qui existe. Nous mettons des filtres. Mais la réalité est autre chose. La réalité est souveraine. Qu’elle plaise ou non, mais elle est souveraine. Et je dois dialoguer avec la réalité.
Deuxième pas. Ecouter et dialoguer, ne pas imposer de chemins de développement, ni de solution aux problèmes. Si je dois écouter, je dois accepter la réalité telle qu’elle est, pour voir quelle doit être ma réponse. Et ici, nous allons au cœur du problème. La réponse d’un chrétien, quelle est-elle ? Entrer en dialogue avec cette réalité en partant des valeurs de l’Evangile, des choses que Jésus nous a enseignées, sans les imposer dogmatiquement, mais par le dialogue et le discernement. En Thaïlande, quand j’y suis allé, un jésuite qui travaille avec les réfugiés m’a posé cette question: «Quelle est aujourd’hui la route pour notre travail avec les réfugiés?» Et la réponse est: il n’y a pas une route, il y a des petits sentiers que chacun de nous doit chercher à parcourir en regardant la réalité, en ayant recours à la prière et en effectuant un discernement. Réalité, prière et discernement. Et l’on avance ainsi dans la vie, même avec les problèmes sociaux, culturels… Mais si vous partez de préjugés ou de positions préconstituées, de pré-décisions dogmatiques, jamais, jamais vous n’arriverez à faire passer un message. Le message doit venir du Seigneur, à travers nous. Nous sommes chrétiens et le Seigneur nous parle avec la réalité, dans la prière et avec le discernement.
C’est ce que je voudrais vous dire pour votre revue. Ne jamais, jamais couvrir la réalité. Toujours dire: «C’est ainsi». Ne jamais la couvrir avec cette résignation du «nous verrons…, cela changera peut-être après… ». Ne jamais la couvrir: la réalité, telle qu’elle est. Ensuite, chercher à la comprendre dans son autonomie interprétative, parce que la réalité a elle aussi une manière de s’interpréter elle-même. Il faut la comprendre. Et puis le dialogue avec l’Evangile, avec le message chrétien; la prière, le discernement, et tracer ainsi de petits sentiers pour avancer. Aujourd’hui, il n’y a pas d’«autoroutes» pour l’évangélisation, il n’y en a pas. Seulement des sentiers humbles, humbles, qui nous feront avancer.
Je voudrais vous encourager sur ce point et l’on dira peut-être: «Mais, père, il y a tellement de problèmes et nous avons peur de glisser, de nous tromper et de tomber». Mais, grâce à Dieu! Si tu tombes, remercie Dieu parce que tu auras la possibilité de te relever et d’aller de l’avant et de recommencer à marcher… Mais si l’on ne bouge pas par peur de tomber, de glisser ou de se tromper, jamais, jamais on ne sera fécond dans la vie. Avancez, courageusement. Et si la critique est bonne, elle vous fera grandir. Elle vous fera voir où ont été les erreurs. Et si la critique vient d’un cœur mauvais, elle vous fera «danser» un peu avec l’acharnement que l’on connaît dans ces cas-là… Mais gardez toujours votre liberté intérieure, et la liberté intérieure on ne l’a que si l’on prie, si l’on se met devant Dieu, si l’on prend l’Evangile, c’est cela la liberté intérieure. Ce n’est pas du piétisme, non, c’est de l’authenticité. Avec les mains dans le travail et le cœur qui sent ce qui se passe chez les gens. Ecouter. Voilà tout ce que tes paroles [de l’introduction du père Costa] ont suscité en moi. Je l’offre spontanément, et ensuite, j’offre «académiquement» le discours que je devais prononcer, de huit pages!
Priez pour moi, je prierai pour vous, et allez de l’avant, toujours de l’avant!
Et demandons à la Vierge Marie de prier avec nous et pour nous le Père céleste, afin qu’il répande sur tous les croyants l’Esprit Saint, feu divin qui réchauffe les cœurs et nous aide à être solidaires avec les joies et les souffrances de nos frères.