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 Saint-Augustin/Sujet 2/Suite/La double Généalogie de Jésus-Christ/

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coeurtendre
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Saint-Augustin/Sujet 2/Suite/La double Généalogie de Jésus-Christ/ Empty
MessageSujet: Saint-Augustin/Sujet 2/Suite/La double Généalogie de Jésus-Christ/   Saint-Augustin/Sujet 2/Suite/La double Généalogie de Jésus-Christ/ Icon_minitimeLun 24 Oct - 18:40

Saint-Augustin/Sujet 2/Suite/La double Généalogie de Jésus-Christ/ 206640364E57B95223FD03


Mais pourquoi l'Évangile affirme-t-il qu'il y a trois fois quatorze générations, tandis qu'en les prenant toutes l'une après l'autre on en obtient, non pas quarante-deux, mais quarante-et-une? C'est assurément un profond mystère. Et nous sommes heureux, nous remercions le Seigneur de nous faire découvrir, à l'occasion des outrages lancés contre nous, une vérité d'autant plus agréable à saisir qu'elle était plus profondément ensevelie dans l'ombre. Nous le disions en commençant, nous donnons ici un spectacle tout spirituel. D'Abraham à David, il y a donc quatorze générations. On reprend ensuite à Salomon, fils de David, et de Salomon on va jusqu'à Jéchonias, sous qui eut lieu la transmigration de Babylone. Or en comprenant Salomon, le chef de cette série et Jéchonias qui en est le terme, on compte encore quatorze générations. Pour la troisième série, elle commence à ce même Jéchonias. Que votre sainteté goûte ici un mystère  plein de douceur. Je vous avoue que mon coeur y trouve d'ineffables délices, et j'aime à croire que vous direz comme moi lorsque je vous aurai exposé et fait goûter ma pensée. Ecoutez donc. 
De Jéchonias qui ouvre la troisième série, jusqu'à Jésus-Christ Notre-Seigneur, il y a quatorze générations; ainsi Jéchonias est compté deux fois, une fois pour fermer la deuxième série et une autre fois pour ouvrir la troisième. Pourquoi, demandera-t-on, Jéchonias est-il compté deux fois? Rien n'arrivait chez le peuple d'Israël qui ne fût un mystère de l'avenir. La raison ne défend pas de compter deux fois Jéchonias. 

Voici la limite qui sépare deux propriétés, une pierre ou une cloison quelconque: chaque propriétaire ne part-il pas de cette borne quand il s'agit de mesurer? Pourquoi néanmoins ne comptons-nous pas de la même manière les deux précédentes séries; la première, qui comprend quatorze générations depuis Abraham jusqu'à David, et la deuxième qui en comprend quatorze aussi, non pas depuis David inclusivement, mais depuis Salomon? Il en faut donner le motif: c'est ici le profond mystère. Que votre sainteté nous prête toute son attention. La transmigration de Babylone eut lieu, lorsque le roi Jéchonias succéda à son père qui venait de mourir. La couronne fut enlevée à ce prince et un autre prit sa place; ce fut néanmoins de son vivant que le peuple de Dieu émigra parmi les gentils. On ne cite de Jéchonias aucune faute qui ait pu le faire détrôner, on parle plutôt des crimes de ses successeurs. Arrive donc la captivité, on va à Babylone. Les impies seuls n'en prennent pas la route, des saints mêmes vont avec eux en captivité et l'on y voit le prophète Ezéchiel, l'on y voit Daniel et ces trois enfants qu'illustrèrent les flammes de la fournaise. Tous suivaient les conseils du prophète Jérémie.N'oubliez pas que Jéchonias fut réprouvé innocemment, qu'if cessa de régner et passa parmi les gentils à l'époque où eut lieu la transmigration de Babylone: voyez ici une image anticipée de ce qui devait arriver à Jésus-Christ Notre-Seigneur. Les Juifs ne voulurent plus que Notre-Seigneur Jésus-Christ régnât sur eux, et pourtant ils n'avaient trouvé en lui aucune faute. Il fut rejeté dans sa personne, rejeté dans la personne de ses serviteurs, qui passèrent alors à Babylone, c'est-à-dire parmi les gentils. Le prophète Jérémie commandait de la part de Dieu d'aller à Babylone, et les prophètes qui s'y opposaient étaient par lui traités de faux-prophètes. Vous qui lisez les Ecritures, vous savez que nous n'inventons pas; ceux qui ne les lisent pas doivent nous croire. Jérémie donc faisait au nom du Seigneur des menaces à qui refusait d'aller à Babylone, et il promettait à ceux qui y allaient, le repos et l'espèce de bonheur que procurent la plantation des vignes, la culture des arbres et l'abondance des récoltes (1). Et comment en réalité et non plus en figure, le peuple d'Israël passât-il à Babylone? Mais d'où étaient les Apôtres? N'étaient-ils pas des Juifs? D'où était Paul lui-même? «Je suis Israëlite, dit-il, de la race «d'Abraham, de la tribu de Benjamin (2).» Beaucoup de Juifs crurent donc en Jésus-Christ. Parmi eux furent choisis les Apôtres; de leur nombre se trouvaient ces cinq cents frères et plus, qui méritèrent de voir le Seigneur après sa résurrection (3); parmi eux comptaient encore ces cent vingt disciples que le Saint-Esprit trouva assemblés dans une même demeure lorsqu'il descendit du ciel (4). Et lorsque les Juifs repoussèrent ensuite la prédication de la vérité, que leur dit l'Apôtre dans les Actes des Apôtres? «Nous étions envoyés vers vous; mais puisque vous rejetez la parole de Dieu, nous nous tournons à l'instant vers les gentils (5).» Ainsi se fit spirituellement, à l'époque de l'incarnation du Seigneur, la transmigration de Babylone figurée au temps de Jérémie.

Mais que disait des Babylonients Jérémie aux émigrants? «Leur paix fera votre paix (6).» Et lorsque sous la conduite du Christ et des Apôtres Israël allait aussi à Babylone, en d'autres termes, lorsque l'Évangile passait aux gentils, que dit l'Apôtre comme pour interpréter Jérémie? «Je demande avant tout qu'on fasse des prières, des demandes, des supplications, des actions de grâces, pour tous les hommes, pour les rois et tous ceux qui sont en dignité, afin que nous menions une vie paisible et tranquille, avec toute piété et chasteté (7).» Les princes n'étaient pas encore chrétiens et il priait pour eux. Les prières d'Israël furent exaucées à Babylone. Les prières de l'Eglise ont été également exaucées; et les princes sont devenus chrétiens, et vous voyez l'accomplissement de cette prophétie figurative: «Leur paix fera votre paix.» Ils ont reçu effectivement la paix du Christ et ils ont cessé de persécuter les chrétiens.

1. Jr 26 - 2. Rm 11,1 - 3. 1Co 10,6 -
 4. Ac 1,15 Ac 2,14 - 5. Ac 13,46 - 6. Jr 29,7 -
 7. 1Tm 2,1-2


 Aussi a-t-on bâti des Églises à la faveur de cette paix, établi et cultivé de nouveaux peuples dans le champ de Dieu, et toutes les nations s'enrichissent par la foi, par l'espérance et par la charité qu'inspire le Christ. La transmigration de Babylone eut lieu sous Jéchonias, à qui on ne permit plus de régner sur les Juifs: c'était un emblème du Christ dont les Juifs ne voulurent plus pour leur roi. Israël passa parmi les gentils, les prédicateurs de l'Évangile se tournèrent aussi vers les peuples païens. Est-il alors étonnant que l'on compte deux fois le nom de Jéchonias? Jéchonias figurait le Christ passant des Juifs aux gentils. Mais ainsi placé entre les. Juifs et les gentils, qu'est-ce que le Christ? N'est-il pas cette célèbre pierre angulaire? Considère l'angle d'une maison: cet angle ne termine-t-il pas un mur pour en commencer un autre? On comprend également la pierre angulaire dans la mesure de l'un et de l'autre mur; il unit les deux murs et on le compte deux fois. En figurant le Seigneur, Jéchonias le figurait donc comme pierre angulaire. Et de ni même qu'on ne laissa point ce prince régner sur les Juifs, et qu'il alla à Babylone; ainsi «après avoir été rejeté parles architectes» le Christ «est devenu la pierre angulaire (1),» l'Évangile a été annoncé aux gentils.


Ne crains donc pas de compter deux fois cette première pierre angulaire; tu obtiendras le total de l'écrivain sacré, tu compteras jusqu'à trois fois les quatorze générations, sans néanmoins parvenir à la somme de quarante-deux, mais à la somme de quarante-et-une. Quand on compte des pierres placées en ligne droite, on ne copte chacune d'elles qu'une seule fois; mais si la ligne se brise pour former un angle, il faut compter deux fois la pierre qui forme cet angle; cette pierre appartient réellement et au mur qui se termine à elle et à celui qui par elle commence. Ainsi en est-il des générations évangéliques. Tant qu'on reste chez le peuple juif, on compte en ligne droite les quatorze; mais lorsqu'on brise la ligne pour tourner du côté de Babylone, Jéchonias devient comme une pierre angulaire, et comme figure d'une autre pierre angulaire infiniment vénérable, il faut le compter deux fois. Voici une autre de leurs accusations: c'est qu'on compte, disent-ils, les générations du Christ par Joseph, et non par Marie. Je prie votre sainteté de se rendre encore un peu attentive. On ne devait pas, disent-ils donc, compter ainsi par Joseph. - Et pourquoi ne devait-on pas compter par Joseph? Joseph n'était-il pas l'époux de Marie? - Non, répondent-ils. - Qui ose dire non, quand, appuyée sur l'autorité d'un ange, l'Ecriture enseigne le contraire? «Ne crains pas, dit-elle, de prendre Marie pour «ton épouse; car ce qui a été engendré en elle «vient du Saint-Esprit.» A Joseph encore elle commande de donner le nom à l'enfant, quoiqu'il ne soit pas né de lui. «Elle l'enfantera un fils et «tu lui donneras le nom de Jésus.» Ainsi tout en s'attachant à montrer que le saint Enfant n'est pas né de Joseph, tout en répondant, aux inquiétudes de Joseph, qu'il «vient du Saint-Esprit,» la même Ecriture ne lui ôte pas l'autorité paternelle, puisqu'elle lui commande de donner le nom à l'Enfant. Bien sûre enfin qu'elle ne lui doit pas la conception du Christ, la Vierge Marie le nomme père de son fils.

 Observez dans quelles circonstances. Notre-Seigneur était âgé de douze ans, de douze ans comme homme; car en tant que Dieu il est au dessus et en dehors de tous les temps; et il resta séparé d'eux dans le temple, discutant avec les docteurs qui admiraient sa doctrine. Au sortir de Jérusalem ses parents le cherchèrent dans leur compagnie, c'est-à-dire parmi ceux qui marchaient avec eux; et ne le trouvant point, ils rentrèrent tout alarmés dans Jérusalem, et le trouvèrent discutant dans le temple avec les anciens, quoiqu'il ne fût, comme j'ai dit, âgé que de douze ans. Qui pourrait néanmoins s'en étonner? Le Verbe de Dieu ne garde jamais le silence, quoiqu'on ne l'entende pas toujours. On le découvre donc dans le temple et sa mère lui dit: «Pourquoi avez-vous agi de la sorte envers nous? Votre père et moi nous vous «cherchions dans l'affliction. - Ignoriez-vous, reprit-il, que je dois être occupé des intérêts de mon Père (1)?» Il répondit ainsi comme étant le Fils de Dieu et dans le temple de Dieu. Ce temple en effet n'était par le temple de Joseph, mais le temple de Dieu. Donc, objectera quelqu'un, il ne dit point qu'il était le fils de Joseph. - Ecoutez avec un peu plus de patience; mes frères, car nous avons peu de temps et il faut achever ce discours. Marie  ayant dit: «Votre père et moi nous vous cherchions dans l'affliction,» il     répliqua: «Ignoriez-vous que je dois être occupé des affaires de mon Père?» Il ne voulait pas laisser croire que tout en étant leur fils il n'était pas en même temps le Fils de Dieu; car il est et il est toujours le Fils de Dieu, créateur de ses parents mêmes. Mais fils de l'homme dans le temps et né miraculeusement d'une vierge, il avait néanmoins un père et une mère. Comment le prouver? Marie l'a déjà dit: «Votre père et moi nous vous cherchions dans l'affliction.»


En vue surtout de l'instruction des femmes, de nos soeurs, ne passons point sous silence, mes frères, cette sainte modestie de la Vierge Marie. Elle avait donné le jour au Christ, un ange était venu vers elle et lui avait dit: «Tu vas concevoir dans ton sein et tu enfanteras un fils. Il sera grand et sera appelé le Fils du Très-Haut (1).» Elle avait mérité de donner le jour au Fils du Très-Haut, et elle était si humble! Même en se nommant elle ne se préférait pas à son mari, elle ne disait pas: moi et votre père, mais: «votre père et moi.» Elle ne considère point sa dignité de mère, mais l'ordre du mariage. Ah! Jésus-Christ est trop humble pour avoir enseigné l'orgueil à sa mère. «Votre père et moi nous vous cherchions dans les larmes. - Votre père, et moi» ensuite; car l'homme est le chef de la femme (2). Combien moins doivent s'enorgueillir les autres femmes! Si ce nom a été donné à Marie, ce n'est point qu'elle ait perdu sa virginité, c'est pour suivre l'usage de sa nation. L'Apôtre a dit de Jésus-Christ Notre-Seigneur qu' «il est né d'une femme (3);» mais sans se mettre en contradiction avec notre foi, qui professe hautement qu'il est né du Saint-Esprit et de la Vierge Marie, car elle conçut Vierge, Vierge elle enfanta et elle demeura Vierge. La langue hébraïque, en effet, donne le nom de femme à toutes les personnes du sexe. En voici une preuve manifeste; c'est que la première femme, tirée par Dieu du côté d'Adam, portait ce nom avant de s'unir avec l'homme, ce qui n'arriva qu'après leur expulsion du paradis. L'Ecriture dit expressément: «Dieu en forma la femme (4).»

1. Lc 1,31-32 - 2. Ep 5,23 - 3. Ga 4,4 - 4. Gn 2,22

Ainsi donc, lorsqu'en répondant: «Je devais m'occuper des affaires de mon Père,» Jésus-Christ Notre-Seigneur indique que Dieu est son Père, il ne nie pas que Joseph le soit aussi. Où en est la preuve? Dans l'Écriture quand elle dit: «Et il leur répondit: Ignoriez-vous que je dois m'occuper des affaires de mon Père? Ils ne comprirent pas ce qu'il leur disait; puis étant descendu avec eux il vint à Nazareth et il leur était soumis (1).» Il n'est pas écrit: Il était soumis à sa mère, ni: il lui était soumis; mais «Il leur était soumis.» A qui? N'est-ce pas à ses parents? C'est à ses deux parents qu'il se soumettait avec la même condescendance qui le rendait fils de l'homme.Nous venons de transmettre des règles de vie aux femmes; c'est maintenant au tour des enfants d'en recevoir. Qu'ils apprennent donc à obéir à leurs parents, à leur être soumis. L'univers est soumis au Christ, et le Christ est soumis à ses parents! Vous voyez donc, mes frères, qu'en disant «Il faut que je m'occupe des intérêts de mon Père;» il ne prétend pas dire: Vous n'êtes pas mes parents. Ils étaient ses parents dans le temps, son Père est son Père dans l'éternité. Eux sont les parents du Fils de l'homme; le Père est le Père de son Verbe, de sa Sagesse et de cette Vertu suprême par laquelle il a tout formé. Si par elle il a tout formé, car elle atteint d'une extrémité à l'autre avec force et dispose tout avec douceur (2);» par le Fils de l'homme ont été formés aussi ces parents auxquels il devait plus tard se soumettre comme Fils de Dieu.

L'Apôtre le nomme fils de David: «Il lui est né, dit-il, de la race de David, selon la chair (3).» Le Sauveur néanmoins propose aux Juifs une question que l'Apôtre résout dans ces mêmes paroles. Si après ces mots: «Il lui est né de la race de David,» il ajoute: «selon la chair,» c'est pour faire entendre que selon sa divinité fi n'est pas fils de David, mais Fils de Dieu et Seigneur de David. Aussi en faisant ailleurs l'éloge de la race juive: «De leurs pères, dit le même Apôtre, est né selon la chair le Christ qui est au-dessus de toutes choses, Dieu béni dans tous les siècles (4). - Selon la chair;» par là il est fils de David; «au dessus de toutes choses, Dieu béni dans tous les siècles,» il est par là le Seigneur de David.Le Seigneur demanda donc aux Juifs: «De qui dites-vous que le Christ est fils? - De David, répondirent-ils.» Ils le savaient pour l'avoir saisi facilement dans les écrits des Prophètes. Et Jésus était réellement le fils de David, mais selon la chair qu'il devait à la Vierge Marie, l'épouse de Joseph.

Lc 2,49-51 - 2. Sg 8,1 - 3. Rm 1,3 - 4. Rm 9,6

 Après les avoir entendus répondre que le Christ est fils de David, le Sauveur ajouta: «Comment donc David l'appelle-t-il, en esprit, son Seigneur lorsqu'il dit: Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que je mette vos ennemis sous vos pieds? Et si David l'appelle, en esprit, son Seigneur, comment est-il son fils?» Mais les Juifs ne purent répondre (1).
Voilà ce que nous lisons dans l'Évangile. En se disant fils de David, il ne voulut pas leur laisser ignorer qu'il était en même temps le Seigneur de ce prince. Ils reconnaissaient au Christ une origine temporelle, ils ne connaissaient pas son éternité. Ainsi pour leur enseigner sa divinité, il soulève une question relative à son humanité. C'est comme s'il eût dit: Vous savez que le Christ est fils de David; expliquez-moi comment il est aussi son Seigneur. Et pour les empêcher de répondre: Il n'est pas le Seigneur de David, il en appela au témoignage de David même. Et que dit David? Il dit la vérité, car voici ce qu'on lit dans un de ses psaumes: «Je placerai sur ton trône, lui dit l'Éternel, un fils qui naîtra de toi (2).» Voilà bien le Christ fils de David. Et comment est-il aussi son Seigneur? «Le Seigneur, déclare David, a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite (3).» Pourquoi vous étonner que David ait son fils pour Seigneur quand vous voyez Marie devenue mère de son Dieu? Il est le Seigneur de David, parce qu'il est Dieu; son Seigneur, car il est le Seigneur de tous; et son fils, car il est fils de l'homme. Il est à la fois son Seigneur et son fils; son Seigneur, car «ayant la nature de Dieu, il n'a pas cru usurper en s'égalant à Dieu;» et son fils, car «il s'est anéanti lui-même en prenant la nature de  Ainsi donc, pour ne s'être pas uni à la mère du Seigneur, Joseph n'en demeure pas moins son père. Est-ce la passion, n'est-ce pas plutôt l'amour conjugal qui constitue l'épouse? Je prie votre Sainteté de s'appliquer. Un Apôtre du Christ devait dire bientôt dans l'Église: «Il faut que ceux mêmes qui ont des femmes soient comme n'en ayant point (5).» Et nous savons qu'un grand nombre, de nos frères, pour porter des fruits de, grâce, s'abstiennent au nom du Christ et d'un mutuel consentement, de tout contact charnel, sans renoncer

1. Mt 22,42-46 - 2. Ps 131,11 - 3. Ps 109,1 - 4. Ph 2,6-7 - 5. 1Co 7,29

toutefois a la charité conjugale. Plus ils répriment la concupiscence et plus s'accroît leur amitié. Cessent-ils d'être époux en vivant ainsi, en ne demandant rien à la chair, en n'exigeant pas ce que pourrait réclamer la concupiscence? La femme alors n'en est pas moins soumise à son mari, car ainsi le veut l'ordre même; elle lui est même d'autant plus soumise qu'elle est plus chaste; le mari de son côté a pour son épouse un amour véritable, un amour plein de respect de pureté, comme il est écrit (1); et il voit en elle une cohéritière de la grâce, et il l'aime «comme le Christ a aimé l'Église (2).» Si donc il y a union matrimoniale, si cette union n'est pas détruite parce qu'on s'abstient de ce qui peut se faire, quoique illicitement, en dehors du mariage; et plaise à Dieu que tous soient capables de ce genre de vie, mais il est au dessus des forces d'un grand nombre; pourquoi séparer ceux qui peuvent vivre ainsi? Pourquoi nier qu'il n'y a ni mari ni femme, quand il n'y a point mélange charnel, mais étroite union des coeurs?

1. 1Th 4,4 - 2. Ep 5,25

 Comprenez par là ce que pense l'Écriture de nos pieux ancêtres qui ne cherchaient dans le mariage que la génération d'une postérité. Conformément aux usages de l'époque où ils vivaient et de la nation dont ils faisaient partie, ils possédaient même plusieurs épouses: mais ils étaient si chastes que jamais ils ne s'en approchaient qu'en vue des enfants; ils avaient pour elles un respect véritable. D'ailleurs, demander à une femme au delà de ce qu'exige ce besoin de la génération, c'est violer le contrat même du mariage. On lit ce contrat, on le lit en présence de tous les témoins, on y lit cette clause: pour engendrer des enfants; voilà ce qui fait l'essence de ce qu'on appelle l'acte matrimonial. Eh! si ce n'était dans ce but qu'on donne et qu'on accepte une épouse, quel père oserait livrer sa fille à la passion d'autrui? Afin donc d'ôter toute honte aux parents, afin de leur rappeler qu'ils deviennent beaux-pères et non chefs de prostitution, on lit le contrat au moment où ils donnent leur fille. Et qu'y lit-on? Pour la génération des enfants. Le front du père à ces mots s'éclaircit et devient serein. Et le front de celui qui reçoit cette femme? Ah! qu'il rougisse de la prendre pour un autre motif, puisque le père rougit de la lui remettre dans un autre dessein!

Si cependant, nous avons déjà dit cela quelque part, ils ne peuvent se restreindre à cette juste limite, (240) qu'ils exigent ce qui leur est dû; mais uniquement de ceux qui leur doivent; que l'homme et la femme se soulagent ensemble dans leur faiblesse sans s'adresser à autrui, ce qui serait un adultère, comme l'indique l'étymologie même de ce mot. Adulterium, quasi ad alterum. S'ils passent les bornes du contract matrimonial, qu'ils ne franchissent par les limites du lit nuptial. N'y a-t-il pas péché à exiger au delà de ce qu'exige la procréation des enfants? C'est un péché, mais véniel. C'est l'expression même l'Apôtre: «Je parle ainsi par condescendance, secundum veniam;» dit-il sur ce sujet. «Ne vous refusez point l'un à l'autre ce devoir, si ce n'est, de concert pour un temps, afin de vaquer à la prière, et revenez ensuite comme vous étiez, de peur que Satan ne vous tente par votre incontinence.» Que signifie ce langage de S. Paul? Il veut dire: Ne vous chargez pas au dessus de vos forces; vous pourriez, en vous abstenant l'un de l'autre, tomber dans l'adultère; Satan pourrait «vous tenter à cause de votre incontinence.» Néanmoins, comme autre chose est de donner un ordre à la vertu ou fine permission à la faiblesse, l'Apôtre ne veut point paraître commander ce qu'il permet seulement; c'est pourquoi il ajoute aussitôt: «Je parle ainsi par condescendance, secundum veniam, et non par commandement; car je voudrais que tous les hommes fussent comme moi (1):» en d'autres termes: je ne vous commande pas de le faire, je vous pardonne si vous le faites.


5123 23. Maintenant, mes frères, soyez attentifs à cette conséquence. Il est de grands hommes qui ne prennent d'épouse que dans l'intention d'en avoir des enfants; tels furent les patriarches, nous pouvons en donner des preuves nombreuses et les livres sacrés l'attestent hautement, sans laisser le moindre doute. Si donc ces hommes qui ne prennent d'épouse que dans l'intention d'en avoir des enfants, pouvaient atteindre ce but sans recourir à l'union des sexes, avec quelle ineffable joie ils accueilleraient cette faveur! avec quel immense plaisir ils la recevraient!

Deux sortes d'oeuvres charnelles maintiennent l'existence du genre humain; les hommes saints et prudents s'y prêtent par devoir; les imprudents s'y laissent entraîner par passion: ces deux motifs en effet sont bien différents l'un de l'autre. Quelles sont ces deux sortes d'oeuvres? La première nous concerne directement, elle consiste à prendre des aliments, ce qui ne peut se faire sans quelque délectation charnelle; à manger et à boire, sans quoi il faut mourir. Le manger et le boire sont ainsi le premier soutien de la nature humaine, mais de la nature humaine considérée dans les hommes actuellement existants; car ce moyen ne pourvoit pas à la perpétuité de l'espèce, il y faut l'union conjugale. Pour entretenir l'existence du genre humain, il est d'abord nécessaire que les hommes vivent. Mais quelques soins que l'on donné au corps, il ne saurait exister toujours, il est donc indispensable que les naissances fassent contrepoids aux décès. Le genre humain, comme on l'a écrit, ressemble aux feuilles d'un arbre, mais d'un arbre toujours vert, tels que l'olivier, le laurier, d'autres encore. Ces arbres ne sont jamais dépouillés, mais ils n'ont pas constamment les mêmes feuilles, ils en perdent et en produisent (1); celles qui naissent remplacent celles qui tombent, et quoiqu'il en tombe toute l'année, l'arbre toute l'année en est couvert. Ainsi dans le genre humain les décès sont compensés par les naissances, et l'humanité se maintient ainsi tout entière. Comme toujours on voit des feuilles sur certains arbres, ainsi-la terre parait toujours peuplée: et s'il n'y avait que des trépas sans naissances, elle ressemblerait aux arbres qui perdent toutes leurs feuilles.

 Ces deux moyens, dont nous venons de parler assez longuement, étant indispensables à la conservation du genre humain, l'homme sage, prudent et fidèle se prête par devoir à l'un et à l'autre, il ne s'y laisse point aller par passion. Combien hélas! se jettent avec voracité à manger et à boire, faisant en cela consister toute la vie, comme s'ils ne vivaient que pour cela! Parce qu'il faut manger pour vivre, ils s'imaginent vivre pour manger. Ils sont condamnables aux yeux de tout homme sage, aux yeux surtout des divines Écritures. Hommes de chair et de vin, gloutons «qui font leur Dieu de leur ventre (2),» ils vont à table pour satisfaire leur convoitise et, non pour réparer leurs forces. Aussi tombent-ils sur les aliments et sur les boissons. Ceux au contraire qui se prêtent alors à l'accomplissement d'un devoir, ne vivent pas pour manger, mais ils mangent pour vivre. Ce sont des hommes prudents, et tempérants, et si on leur offrait de vivre sans boire et sans manger, avec quelle joie ils accueilleraient le bonheur de n'être plus obligés de se prêter à des actes où ils n'ont pas

1. Si 14,18-19 - 2. Ph 3,19

l'habitude de se jeter! Toujours élevés jusqu'à Dieu, ils ne seraient point obligés de descendre pour réparer les forces épuisées de leur corps. Dans quels sentiments pensez-vous que le saint prophète Élie reçut le verre d'eau et le petit pain qui devaient suffire à le nourrir durant l'espace de quarante jours (1)? Avec une grande; joie, sans aucun doute, car il mangeait et buvait par devoir et non par passion. Essaie, si tu le peux, d'accorder la même faveur à cet homme qui semblable au troupeau de l'étable, place toute sa béatitude et sa félicité dans le plaisir de la bouche. Il repousse cette faveur, il la déteste et la regarde comme un châtiment.


Ainsi en est-il du devoir conjugal: les voluptueux ne contractent mariage que pour assouvir 1curspassions; combien de fois même leur en conte-t-il de se contenter de leurs épouses! Ah! s'ils ne peuvent ou ne veulent se dominer, puissent-ils ne point franchir les bornes, celles même jusqu'où peut aller la faiblesse! Dis à un homme semblable: Pourquoi t'unir à une femme? Peut-être répondra-t-il en rougissant que c'est pour en obtenir des enfants. Mais si un homme qu'il croit absolument sur parole, ajoutait: Dieu peut t'accorder et il t'accordera certainement des enfants sans que tu accomplisses l'acte conjugal, on verrait aussitôt, il avouerait même qu'il n'avait pas en vue des enfants en cherchant une épouse. Qu'il convienne donc de sa faiblesse et qu'il reçoive par condescendance ce qu'il prétendait accepter comme devoir.

 Ainsi les saints des premiers temps, ces, hommes de Dieu, cherchaient des enfants et voulaient en obtenir. Ils ne contractaient mariage que dans ce dessein; ils ne s'unissaient aux femmes que pour engendrer des enfants; aussi leur fut-il permis d'avoir plusieurs épouses. Si Dieu avait vu avec plaisir l'intempérance, il aurait aussi bien permis à une femme d'avoir plusieurs maris, qu'il promettait alors à un mari d'avoir plusieurs femmes. Mais si toute femme chaste n'avait qu'un mari, tandis qu'un mari avait plusieurs femmes, n'était-ce point parce que la pluralité des femmes contribue à multiplier la postérité et que la pluralité des hommes pour une même femme n'y saurait contribuer en rien? Si donc, mes frères, le but de nos pères en s'unissant à des femmes, n'était que d'engendrer des descendants, quel bonheur c'eût été pour eux d'en obtenir sans accomplir cet acte charnel, auquel ils se prêtaient par devoir et en vue de leur postérité, loin de s'y précipiter avec fougue?

Et pour avoir reçu un fils sans rien donner à la convoitise, Joseph n'était pas son père? Comment la pureté chrétienne concevrait-elle une opinion semblable, réprouvée même par la chasteté juive? Aimez vos épouses; mais aimez-les chastement. Ne désirez l'oeuvre charnelle que pour engendrer des enfants; puisque vous ne pouvez en obtenir que par ce moyen, prêtez-vous y avec douleur. C'est un châtiment d'Adam, notre premier père. Irons-nous nous glorifier d'un châtiment? C'est le châtiment de celui qui dut engendrer des mortels pour avoir mérité la mort par son péché. Dieu ne nous a point affranchis de cette peine; car il veut que l'homme se rappelle d'où il est retiré et où il est élevé, qu'il aspire enfin à cet embrassement divin où ne saurait se glisser aucune impureté.Le peuple Juif devait se propager beaucoup jusqu'à l'avènement du. Christ, il devait être assez nombreux pour figurer tous les enseignements figuratifs de l'Église. Aussi le mariage y était-il un devoir; il fallait que la multiplication de ce peuple représentât l'accroissement de l'Église.

Mais depuis la naissance du Roi de toutes les nations, la virginité a commencé à être en honneur; elle a commencé par la Mère de Dieu, qui a mérité d'avoir un fils sans aucune altération de sa pureté. De même donc que son union avec Joseph était un vrai mariage, quoique sans convoitise; pourquoi de la même manière la chasteté de l'époux n'aurait-elle pas reçu ce qu'avait produit la chasteté de l'épouse? Car si elle était, une chaste épouse, il- était, lui, un époux chaste; et si elle unissait la maternité à la chasteté, pourquoi tout en demeurant chaste n'aurait-il pu être père? Dire donc: Joseph ne doit pas porter le nom de père, puisqu'il n'a pas engendré de fils, c'est chercher dans la génération la concupiscence et non la tendresse de la charité. Ah! son coeur accomplissait plus parfaitement ce devoir que d'autres aspirent à accomplir charnellement.

Lorsqu'on adopte des enfants que refuse la nature, le coeur ne les engendre-t-il pas aveu plus de pureté? Considérez, mes frères, considérez les droits que donne l'adoption, voyez comment un homme devient le fils de celui qui ne lui a pas donné le jour, et comment la volonté de celui qui l'adopte acquiert sur lui plus (242) de droit que n'en a celui qui l'a mis au monde. Vous comprendrez par là qu'à Joseph et à Joseph surtout était dû le titre de père. Lorsqu'en dehors du mariage des hommes engendrent des enfants, on nomme ceux-ci fils naturels et on leur préfère les enfants légitimes. Au point de vue de l'oeuvre charnelle les uns et les autres sont égaux; pourquoi préfère-t-on les enfants légitimes aux enfants naturels, sinon parce qu'il y a plus de chasteté dans l'amour conjugal qui les donne? On ne considère point alors l'union des sexes, égale dans l'un et l'autre cas. En quoi donc l'emporte l'épouse? N'est-ce point par ses sentiments de fidélité conjugale, par un amour et plus pur et plus chaste; et s'il était possible à une épouse de donner à son mari des enfants sans qu'il y eût union charnelle, celui-ci ne devrait-il pas les recevoir avec une joie d'autant plus vive, que cette épouse est plus chaste et qu'il la chérit plus tendrement?

 De là concluez aussi qu'il est possible au même homme d'avoir non-seulement deux fils, mais encore deux pères: Il suffit d'avoir prononcé le terme d'adoption pour que vous saisissiez cette possibilité. On dit: Un homme peut bien avoir deux fils, il ne saurait avoir deux pères. En vérité e suffit-il pas, pour, avoir deux pères, qu'on soit engendré par l'un et adopté par l'autre? Et si tout homme peut avoir deux pères, Joseph ne l'a-t-il pu? N'a-t-il pu être engendré par l'un, être adopté par l'autre? Mais s'il l'a pu, pourquoi chercher un grief contre nous dans les généalogies différentes de saint Matthieu et de saint Luc? Il est bien vrai qu'elles sont différentes, puisque selon saint Matthieu, Joseph était fils de Jacob, et d'Héli selon saint Luc. On pourrait croire sans doute que le père de Joseph portait à la fois ces deux noms. Mais les aïeuls, les bisaïeuls et les autres ascendants étant différents et plus ou moins nombreux dans chacune des deux généalogies, c'est une preuve manifeste que Joseph avait deux pères. Cette accusation mise de côté, la raison montrant avec évidence que Joseph a pu avoir deux pères, un père selon la nature et un père adoptif, est-il étonnant que les aïeuls, bisaïeuls et les autres ascendants diffèrent ensuite de part et d'autre?

 Ne croyez pas que ce droit d'adoption soit inconnu aux Écritures; ne vous imaginez point qu'on en ait pris l'idée dans les lois humaines et qu'il soit absolument étranger à l'autorité des divins oracles. Un fait antique dont il est souvent question dans les livres sacrés, c'est que la bienveillance donne des fils aussi bien que la nature. On y voit des femmes qui n'avaient pas eu d'enfants adopter comme tels ceux que leurs maris avaient obtenus de leurs servantes; elles commandaient même à leurs époux d'en obtenir par ce moyen: telles furent Sara (1), Rachel et Lia (2). Ces époux ne commettaient point alors d'adultère, car ils obéissaient à leurs femmes en ce qui concerne le devoir conjugal, et l'Apôtre a dit «La femme n'a pas puissance sur son corps, «c'est le mari; de même le mari n'a pas puissance sur son corps, c'est la femme (3) .» Fils d'une mère Israélite et exposé par elle, Moïse aussi fut adopté par la fille de Pharaon (4). On n'observait point les mêmes formes légales qu'aujourd'hui; la volonté servait de loi. «Les gentils qui n'ont pas la foi font naturellement ce qui est selon la loi,» dit ailleurs l'Apôtre (5). Or si les femmes pouvaient avoir des enfants sans qu'elles leur eussent donné le jour, pourquoi les hommes ne pourraient-ils pas obtenir aussi des enfants sans les avoir engendrés mais en les adoptant? Ne lisons-nous pas que le patriarche Jacob, quoique père d'une si grande famille, voulut avoir pour fils les fils de son fils Joseph, et qu'il lui dit: «Ces deux enfants seront mes fils et ils partager ont la terre avec leurs frères; garde pour toi les autres que tu pourras engendrer (6).»,

1. Gn 16,1-5 - 2 Gn 30,1-9 - 3. 1Co 7,4 - 4. Ex 2,1-10 - 5. Rm 2,14 - 6. Gn 48,5-6

Dira-t-on que le terme même d'adoption ne se rencontre point dans les saintes Écritures? Mais, qu'importe le nom, si la chose y est, si l'on voit des femmes avoir des enfants qu'elles n'ont pas mis au jour, et des hommes compter comme leurs fils ceux qu'ils n'ont pas engendrés? Je ne m'oppose point à ce qu'on ne donne pas à Joseph le titre de fils adoptif, pourvu qu'on reconnaisse en sa faveur la possibilité d'avoir eu pour père un homme qui ne lui avait pas donné le jour, L'Apôtre Paul néanmoins emploie souvent et en lui donnant un sens non moins profond que sacré, ce terme d'adoption. L'Écriture atteste que Jésus-Christ Notre-Seigneur est le Fils unique de Dieu; cet Apôtre dit cependant que c'est par l'adoption de la grâce divine qu'il a daigné faire de nous ses frères et ses cohéritiers. «Lorsqu'est venue la plénitude du temps, Dieu, dit-il, a envoyé son Fils, formé d'une femme, soumis à la loi, pour racheter ceux qui étaient sous la loi, (243) pour nous accorder l'adoption des enfants (1). - «Nous gémissons en nous-mêmes, dit-il ailleurs, attendant l'adoption, la rédemption de notre corps (2).» - Il disait aussi des Juifs: «Je désirais d'être moi-même anathème à l'égard du Christ, pour mes frères, mes proches selon la chair, c'est-à-dire les Israélites, auxquels appartiennent l'adoption,» remarquez ce mot, «la gloire, l'alliance et la législation, qui ont pour pères les patriarches et de qui est sorti selon la chair le Christ même, Dieu au dessus de toutes choses et béni dans tous les siècles (3).» N'est-ce pas indiquer que le mot ou l'acte même d'adoption étaient chez les Juifs aussi anciens que l'alliance et la législation qu'il rappelle en même temps?

 Ajoutez qu'il y avait parmi les Juifs une manière spéciale de donner des fils à qui n'en avait pas obtenu de la nature. Quand quelqu'un était mort sans enfants, son plus proche parent épousait sa femme pour susciter des enfants à son parent défunt (4). L'enfant qui naissait alors était en même temps fils de celui qui lui donnait naissance, et fils de celui dont il devenait l'héritier. Pourquoi ai-je rappelé tout ceci? C'est qu'en regardant comme impossible qu'un homme puisse avoir deux pères, on pourrait faussement et sacrilègement accuser de mensonge les Évangélistes qui rapportent ta double généalogie du Seigneur. Mais les expressions mêmes qu'ils emploient nous donnent à réfléchir. Matthieu semble faire connaître le père naturel de Joseph, et il compte les générations en disant: Un tel a engendré un tel, afin de pouvoir terminer par ces mots: «Jacob engendra Joseph.» Le terme d'engendré ne convient proprement ni au fils adoptif, ni au fils suscité à un mort pour devenir son successeur. Aussi saint Luc ne dit pas: Héli, engendra Joseph, ni: Joseph, qu'engendra Héli, mais: «Joseph qui fut le fils d'Héli (5),» soit par l'adoption, soit qu'il ait été engendré par le proche parent du défunt dont il devenait l'héritier.

1. Ga 4,4-5 - 2. Rm 8,23 - 3. Rm 9,3-5 - 

Nous ne devons plus maintenant nous étonner que Joseph et non Marie figure dans la généalogie; nous avons traité assez longuement ce sujet. Si Marie est devenue mère sans aucun acte de convoitise, Joseph est devenu père sans union charnelle. Il peut donc servir de terme ou de point de, départ aux générations soit ascendantes soit descendantes; son inviolable pureté ne doit point le faire retrancher du nombre des ancêtres du Sauveur; elle doit au contraire affermir en nous l'idée de sa paternité. Sainte Marie elle-même nous condamnerait s'il n'en était ainsi. Elle n'a point voulu se nommer avant son époux, elle a dit: «Votre père et moi nous vous cherchions dans l'affliction (1).» Méchants murmurateurs, ne faites point ce que n'a pas fait cette chaste épouse. Laissons Joseph dans les généalogies; s'il est chaste mari, il est aussi père chaste. Suivant le droit naturel et le droit divin, faisons passer l'homme avant la femme. Si nous venions à l'éloigner pour donner, sa place à Marie, il nous dirait et nous dirait avec raison: Pourquoi m'écarter ainsi? Pourquoi ne pas me laisser en tête des deux généalogies? Lui répondrons-nous C'est que tu n'as pas engendré charnellement? Et mon épouse, répliquerait-il, a-t-elle enfanté d'une manière charnelle? Ce que l'Esprit-Saint a opéré, il l'a opéré pour chacun de nous. - «C'était un homme juste,» est-il écrit. Il était juste époux, Marie de son côté était une épouse juste, et l'Esprit-Saint prenant ses délices dans la justice de l'un et de l'autre leur donna à tous deux un fils. Mais en donnant à l'épouse d'enfanter, il voulut qu'elle enfantât pour son époux. Aussi l'ange invite-t-il l'un comme l'autre à donner le nom à l'enfant, ce qui était leur reconnaître à tous deux l'autorité dont jouissent les parents.

Zacharie était encore muet lorsque naquit son fils, et son épouse indiquait le nom que devait porter celui-ci. Ceux qui étaient là demandaient au père comment il voulait le nommer, et prenant des tablettes il écrivit le nom qu'avait déjà donné sa mère (2). Il est dit à Marie: «Vous allez concevoir un fils et vous lui donnerez le nom de Jésus (3);» il est dit de même à Joseph: «Joseph, fils de David ne craignez point de prendre avec vous Marie votre épouse; car ce qui a été engendré en elle est du Saint-Esprit. Or elle enfantera un fils et vous lui donnerez le nom de Jésus; c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés (4).» Il est dit encore: «Et elle lui enfanta un fils (5);» ce qui prouve de nouveau que la charité et non la chair l'avait rendu véritablement père; c'est donc ainsi qu'il est père, et il l'est réellement. Ainsi les Évangéliste ont éminemment raison de compter par lui, soit les générations descendantes, comme saint Matthieu qui va d'Abraham au Christ, soit les générations ascendantes, comme saint Luc qui s'élève; par Abraham, du Christ jusqu'à Dieu.L'un compte en descendant, l'autre en montant et tous deux comptent par Joseph. Pourquoi? Parce qu'il est père. Pourquoi père? Il l'est d'autant plus sûrement qu'il l'est avec plus de chasteté.

1. Lc 2,48 - 2 Lc 1,60-63 - 3. Lc 1,31 - 4. Mt 1,20-21 - 5. Lc 2,7

C'est dans un autre sens qu'on le croyait père de Notre-Seigneur Jésus-Christ; on estimait qu'il était père comme les pères ordinaires, qui engendrent selon la chair et à qui la seule affection spirituelle ne suffit pas pour donner des enfants. Saint Luc a dit: «On le croyait père de Jésus. (1)» Qu'est-ce à dire: ou le croyait? L'opinion humaine était portée à le confondre avec les pères ordinaires. Mais le Seigneur n'est point issu de Joseph, quoiqu'on ait eu cette idée, et cependant la piété et la charité de Joseph a reçu de la Vierge Marie un fils qui est en même temps le Fils de Dieu.Mais enfin, pourquoi l'un des Évangélistes compte-t-il en montant et l'autre en descendant? Ecoutez ceci attentivement, je vous en prie, autant que le Seigneur vous en accordera la grâce, avec un esprit tranquille et débarrassé des importunes préoccupations que produisaient en vous ces accusations captieuses. Saint Matthieu suppute les générations en descendant, pour exprimer que Notre-Seigneur Jésus-Christ est descendu afin de se charger de nos péchés et afin que toutes les nations fussent bénies dans la postérité d'Abraham. Pour le nième motif il ire commence ni par Adam, le père de tout le genre humain; ni par Noë, dont la famille a peuplé toute la terre après le déluge. Pour montrer l'accomplissement de la prophétie, il était inutile de rappeler que le Christ fait homme descendait d'Adam et de Noë, les deux pères de l'humanité; mais il fallait le faire remonter jusqu'à Abraham, puisque c'est à Abraham que fut donnée l'assurance que toutes les nations seraient bénies dans un rejeton de sa race, lorsque déjà la terre entière était peuplée. Saint Luc au contraire compte en montant, et ce n'est pas à la naissance du Sauveur qu'il suppute les générations, mais au moment où il rapporte son baptême par saint Jean. De même en effet que le Sauveur en s'incarnant se charge des péchés du genre humain pour en porter le poids, ainsi en recevant le baptême il entreprend de les effacer. 

Puisque le premier de ces Évangélistes nous mettait sous les yeux le Sauveur descendant du ciel pour se charger de nos fautes, il était convenable qu'il énumérât les générations en descendant; et puisque le second nous présentait le Fils de Dieu remontant des eaux où il avait laissé, non pas ses péchés, mais les nôtres, il devait compter en montant. L'un descend par Salomon, dont la mère pécha avec David; et l'autre monte par Nathan, cet autre fils de David (1) qui purifia son père du crime commis par lui. Nous lisons en effet que Nathan fut envoyé vers ce prince pour lui reprocher son iniquité et le guérir par la pénitence. (2) Ces deux historiens se rencontrent dans David, celui-ci en descendant et celui-là en montant, et de David à Abraham ou d'Abraham à David- on ne voit dans leur récit aucune génération différente. Ainsi le Christ, fils à la fois de David et d'Abraham; s'élève à Dieu, où il faut que nous retournions avec lui après avoir effacé nos péchés et nous être renouvelés dans le baptême.

 Ce qui frappe dans la généalogie de saint Matthieu, c'est le nombre quarante; car l'Écriture ne tient pas compte ordinairement de ce qui passe certains nombres déterminés. Ainsi elle fixe à quatre cents ans le temps qui devait s'écouler jusqu'à la sortie d'Egypte (3); et il y en a quatre cent trente. Ici donc quoiqu'il y ait une génération au dessus de quarante, nous ne devons pas laisser de voir dominer ce nombre de quarante. Or ce nombre exprime la vie laborieuse de cette terre où nous voyageons loin du Seigneur, et où nous avons provisoirement besoin qu'on nous prêche la vérité. Si en effet nous multiplions par quatre, en considération des quatre parties du inonde, ou des quatre saisons de l'année, le nombre dix qui signifie la béatitude parfaite, nous obtenons le chiffre de quarante. Aussi Moïse (4), Elie (5), et notre Médiateur lui-même, Jésus-Christ Notre-Seigneur (6), ont continué pendant quarante jours le jeûne destiné à nous rappeler qu'il est nécessaire de réprimer les convoitises sensuelles. Le peuple juif voyagea aussi quarante jours dans le désert (7) et le déluge dura quarante jours (Cool. Pendant quarante jours encore le Seigneur vécut avec ses disciples après la résurrection, pour les convaincre de la réalité de ce fait (9); il insinuait ainsi que durant cette vie où nous voyageons loin du Seigneur, et que rappelle la signification mystique du nombre quarante, Ainsi que nous venons de le dire, nous avons besoin, jusqu'à son avènement suprême, de célébrer, comme nous le faisons dans l'Église, la mémoire de son corps sacré.

 - 2. 2S 12 - 3. Gn 15,13 Ac 7,6 - 4. 
Dt 9,9 - 5. 1R 19,8 - 6. Mt 4,2 - 7. 
Nb 32,13 - 8. Gn 7,4 - 9. Ac 1,3 - 10.

Jésus-Christ donc étant descendu dans cette vie, le Verbe s'étant fait chair afin de s'immoler pour nos péchés et de ressusciter pour notre justification (1), saint Matthieu s'est attaché au nombre quarante. La génération qui excède ce nombre ne le détruit pas plus, que les trente années dont noirs avons parlé ne détruisent le nombre de quatre cents. Peut-être aussi l'Évangéliste a-t-il voulu t'aire entendre que tout en descendant en cette vie pour y porter le fardeau de nos crimes, le Seigneur Jésus, dont le nom forme l'unité qui s'ajoute à quarante, Dieu et homme tout ensemble, y occupe un rang si élevé et si incomparable, qu'il ne semble pas en faire partie. De lui en effet l'on pont dire ce que jamais on n'a pu, ce Brion ne pourra dire jamais d'aucun homme, si saint, si sage, si juste et si parfait qu'il soit: «Le Verbe s'est fait chair (2).»
Saint Luc après avoir rapporté le baptême du Seigneur, suppute les générations en montant, et atteint le nombre complet de soixante-dix-sept, à partir de Notre-Seigneur Jésus-Christ jusqu'à Dieu, et en comprenant Joseph et Adam. C'est que ce nombre désigne tons les péchés effacés dans le baptême. Le Sauveur sans doute n'avait rien à effacer, mais son humilité, en recevant le baptême, a voulu nous recommander cet utile remède. Ce n'était encore que le baptême de Jean; la Trinité s'y révéla toutefois d'une manière sensible; l'on y vit le Père, le Fils et l'Esprit-Saint consacrer ainsi le baptême institué par le Christ en faveur des chrétiens: le Père dans la voix qui se fit entendre du haut du ciel; le Fils dans l'humanité même du divin Médiateur; et l'Esprit-Saint dans la colombe (3). Le nombre de soixante-dix-sept, avons nous dit, désigne tous les péchés effacés dans le baptême. En voici. la raison qui parait convaincante. Dix exprime la justice et la félicité parfaite; car elles consistent dans l'union de la créature, signifiée parle nombre sept, avec la Trinité aussi le Décalogue comprend-il-en dix préceptes toute la loi divine. En outrepassant, en transgressant dix, on arrive à onze; or le péché est une transgression, puisqu'il vient de ce que l'homme franchit tes règles de la justice en désirant plus qu'il rie doit, ce qui a fait dire à l'Apôtre que la cupidité est la racine de tous les maux (4); et ce qui permet d'adresser au nom du Seigneur les paroles suivantes à l'âme que la volupté entraîne loin de lui: Tu espérais davantage en te séparant de moi.

1. Rm 4,25 - 2. Jn 1,14 - 3. Mt 3,16-17 - 4. 1Tm 6,10

Le pécheur en cherchant son bien propre, rapporte donc à lui-même son péché ou sa transgression. C'est pourquoi l'Écriture, condamne ceux qui poursuivent leurs propres intérêts, non ceux de Jésus-Christ (1), et loue au contraire la charité qui ne s'occupe pas d'elle-même (2). De là vient que ce nombre onze, qui signifie la transgression, n'est pas ici multiplié par dix, mais par sept, et produit soixante-dix-sept. Ce n'est pas, effectivement à la Trinité qui l'a créé, c'est à lui-même, c'est à la créature que l'homme rapporte ses transgressions, et le nombre sept rappelle ta créature, car il y a dans ce nombre, trois pour désigner son âme, qui a été formée il l'image d e la Trinité créatrice et où reluit cette image; et quatre pour désigner le corps, dont on courrait partout les quatre éléments constitutifs. Si toutefois quelqu'un de vous les ignorait, je l'invite à se rappeler que ce monde où se meut localement notre corps, a comme quatre parties principales dont il est fait souvent mention dans l'Écriture et qui sont l'orient et l'occident; le nord et le midi. Et parce que les péchés se commettent ou dans l'âme, comme les péchés qui ne sortent pas de la volonté, ou dans le corps, comme les fautes extérieures, le prophète Amos exprime fréquemment en ces termes les menaces de Dieu: «Après trois et quatre crimes je ne me détournerai point (3),» c'est-à-dire je ne dissimulerai pas. Les trois crimes sont ceux de l'âme; les quatre, ceux du corps, et l'homme est composé d'un corps et d'une âme.

 Ainsi donc onze fois sept, ou, comme nous venons de l'expliquer, la,, transgression de la justice faite en vue du pécheur, donnent soixante dix-sept, et ce chiffre comprend toutes les fautes qu'efface le baptême. C'est pour ce motif que saint Luc s'élève jusqu'à Dieu en passant par les soixante dix-sept générations; il nous apprend ainsi que l'homme se réconcilie avec Dieu par l'expiation de ses péchés. C'est pour ce, motif aussi que Pierre demandant au Seigneur combien de fois il devait pardonner à son frère, le Seigneur lui répondit: «Non pas sept fois, mais jusqu'à soixante-dix-sept fois (4).» Des esprits plus appliqués et plus, dignes sauront peut-être puiser autre chose dans ces profonds trésors des mystères divins. Pour nous, voilà ce qu'avec l'aide et le secours du Seigneur nous ont permis de dire notre faible intelligence et la brièveté du temps. Ceux de vous qui demandent davantage peuvent insister auprès de Celui qui nous donne à nous-même ce que nous pouvons saisir et expliquer. Retenez par-dessus tout qu'il ne faut ni se troubler quand on n'entend pas encore l'Écriture, ni s'enfler d'orgueil quand on l'entend; il faut au contraire ajourner avec respect ce que l'on ne comprend pas, et ce que l'on comprend le garder avec amour.

1. Ph 2,21 - 2. 1Co 13,5 - 3. Am 1,11 - 4. Mt 18,22

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