Que s’est-il passé ? », lui demandé-je à la lumière des déclarations précédentes, imaginant une réponse longue et articulée. J’ai plutôt eu l’impression que le Pape considère le Concile comme un fait si indiscutable qu’il n’est pas nécessaire d’en parler trop longuement, sous peine d’en réduire l’importance.
« Vatican ii fut une relecture de l’Évangile à la lumière de la culture contemporaine. Il a produit un mouvement de rénovation qui vient simplement de l’Évangile lui-même. Les fruits sont considérables. Il suffit de rappeler la liturgie. Le travail de la réforme liturgique fut un service du peuple en tant que relecture de l’Évangilef à partir d’une situation historique concrète. Il y a certes des lignes herméneutiques de continuité ou de discontinuité, pourtant une chose est claire : la manière de lire l’Évangile en l’actualisant, qui fut propre au Concile, est absolument irréversible. Il y a ensuite des questions particulières comme la liturgie selon le Vetus Ordo. Je pense que le choix du Pape Benoît fut prudentiel, lié à l’aide de personnes qui avaient cette sensibilité particulière. Ce qui est préoccupant, c’est le risque d’idéologisation du Vetus Ordo, son instrumentalisation ».
Chercher et trouver Dieu en toutes choses
Sur les défis d’aujourd’hui, le discours du Pape François est très équilibré. Il y a plusieurs années, il avait écrit que, pour voir la réalité, il faut un regard de foi, sinon c’est une réalité en morceaux, fragmentée, qui est perçue. C’est l’un des thèmes de l’encyclique Lumen Fidei. J’ai aussi dans l’esprit quelques passages des discours du Pape François pendant les Journées mondiales de la jeunesse de Rio de Janeiro. Je les lui cite : « Dieu est réel s’il se manifeste dans l’aujourd’hui »; « Dieu est partout ». Ce sont des phrases qui enrichissent l’expression ignatienne « chercher et trouver Dieu en toutes choses ». Je demande donc au Pape :
« Saint Père, comment chercher et trouver Dieu en toutes choses ». « Ce que j’ai dit à Rio a une valeur en rapport au temps. Chercher Dieu dans le passé ou dans le futur est une tentation. Dieu est certainement dans le passé, parce qu’il est dans les traces qu’il a laissées. Et il est aussi dans le futur comme promesse. Mais le Dieu “concret”, pour ainsi dire, est aujourd’hui. C’est pourquoi les lamentations ne nous aideront jamais à trouver Dieu. Les lamentations qui dénoncent un monde “barbare” finissent par faire naître à l’intérieur de l’Église des désirs d’ordre entendu comme pure conservation ou réaction de défense. Non : Dieu se rencontre dans l’aujourd’hui.Dieu se manifeste dans une révélation historique, dans le temps. Le temps initie les processus, l’espace les cristallise. Dieu se trouve dans le temps, dans les processus en cours. Nous devons engager des processus, parfois longs, plutôt qu’occuper des espaces de pouvoir. Dieu se manifeste dans le temps et il est présent dans les processus de l’histoire. Cela conduit à privilégier les actions qui génèrent des dynamiques nouvelles. Cela requiert patience et attente.
Rencontrer Dieu en toutes choses n’est pas un eurêka empirique. Dans le fond, nous désirons constater tout de suite notre rencontre avec Dieu à l’aide d’une méthode empirique. Ce n’est pas ainsi que l’on rencontre Dieu. On le rencontre dans la brise légère ressentie par Elie. Les sens qui perçoivent Dieu sont ceux que saint Ignace appelle les “sens spirituels”. Pour rencontrer Dieu, Ignace demande d’ouvrir sa sensibilité spirituelle plutôt que de mettre en œuvre une approche purement empirique. Il faut une attitude contemplative : sentir que l’on va par un bon chemin de compréhension et d’affection à l’égard des choses et des situations. Le signe en est celui d’une paix profonde, d’une consolation spirituelle, de l’amour de Dieu et de toutes les choses en Dieu ». Certitudes et erreurs Si la rencontre de Dieu en toutes choses n’est pas un « eurêka empirique », comme dit le Pape, et si par conséquent il est question d’un chemin qui lit l’histoire, il est possible de se tromper...
« Bien sûr, dans ce chercher et trouver Dieu en toutes choses, il reste toujours une zone d’incertitude. Elle doit exister. Si quelqu’un dit qu’il a rencontré Dieu avec une totale certitude et qu’il n’y a aucune marge d’incertitude, c’est que quelque chose ne va pas. C’est pour moi une clé importante. Si quelqu’un a la réponse à toutes les questions, c’est la preuve que Dieu n’est pas avec lui, que c’est un faux prophète qui utilise la religion à son profit. Les grands guides du peuple de Dieu, comme Moïse, ont toujours laissé un espace au doute. Si l’on doit laisser de l’espace au Seigneur, et non à nos certitudes, c’est qu’il faut être humble. L’incertitude se rencontre dans tout vrai discernement qui est ouvert à la confirmation de la consolation spirituelle.
Le risque de chercher et trouver Dieu en toutes choses est donc la volonté de trop expliciter, de dire avec certitude humaine et arrogance : “Dieu est ici”. Nous trouverons seulement un dieu à notre mesure. L’attitude correcte est celle de saint Augustin : chercher Dieu pour le trouver et le trouver pour le chercher toujours. Souvent on le cherche à tâtons, comme on peut le lire dans de nombreux passages bibliques. C’est l’expérience des Pères de la foi qui sont nos modèles. Il faut relire le chapitre 11 de la Lettre aux Hébreux. Abraham part sans savoir où il va, guidé par la foi. Tous nos ancêtres dans la foi sont morts en ayant aperçu les bonnes promesses mais de loin... Notre vie ne nous est pas donnée comme un livret d’opéra où tout est écrit; elle consiste à marcher, cheminer, agir, chercher, voir... On doit entrer dans l’aventure de la recherche, de la rencontre, et se laisser chercher et rencontrer par Dieu.
C’est pourquoi Dieu est premier, Dieu est toujours premier, Dieu nous précède. Dieu est un peu comme la fleur d’amandier, qui fleurit toujours en premier. Nous le lisons chez les Prophètes. Ainsi Dieu se rencontre sur la route, en marchant. Quelqu’un pourrait dire que c’est du relativisme. Est-ce du relativisme ? Oui, si on le comprend de travers, comme une sorte de panthéisme indistinct. Mais non, si on le comprend au sens biblique selon lequel Dieu est toujours une surprise. On ne sait jamais où ni comment on Le trouve, on ne peut pas fixer les temps ou les lieux où on Le rencontrera. La rencontre est l’objet d’un discernement. C’est pourquoi le discernement est fondamental.
Si le chrétien est légaliste ou cherche la restauration, s’il veut que tout soit clair et sûr, alors il ne trouvera rien. La tradition et la mémoire du passé doivent nous aider à avoir le courage d’ouvrir de nouveaux espaces à Dieu. Celui qui aujourd’hui ne cherche que des solutions disciplinaires, qui tend de manière exagérée à la “sûreté” doctrinale, qui cherche obstinément à récupérer le passé perdu, celui-là a une vision statique et non évolutive. De cette manière, la foi devient une idéologie parmi d’autres. Pour ma part, j’ai une certitude dogmatique : Dieu est dans la vie de chaque personne. Dieu est dans la vie de chacun. Même si la vie d’une personne a été un désastre, détruite par les vices, la drogue ou autre chose, Dieu est dans sa vie. On peut et on doit Le chercher dans toute vie humaine. Même si la vie d’une personne est un terrain plein d’épines et de mauvaises herbes, c’est toujours un espace dans lequel la bonne graine peut pousser. Il faut se fier à Dieu ».