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 Connaitre Pape François/Question 10/« Alors, Saint Père, la créativité, c’est important dans la vie d’une personne ? »/

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coeurtendre
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coeurtendre

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Connaitre Pape François/Question 10/« Alors, Saint Père, la créativité, c’est important dans la vie d’une personne ? »/ Empty
MessageSujet: Connaitre Pape François/Question 10/« Alors, Saint Père, la créativité, c’est important dans la vie d’une personne ? »/   Connaitre Pape François/Question 10/« Alors, Saint Père, la créativité, c’est important dans la vie d’une personne ? »/ Icon_minitimeJeu 16 Fév - 10:37

Connaitre Pape François/Question 10/« Alors, Saint Père, la créativité, c’est important dans la vie d’une personne ? »/ 206640364E57B95223FD03



 «. Il rit et me répond : « Pour un jésuite, c’est 
extrêmement important. Un jésuite doit être 
créatif ».

Frontières et laboratoires

Recevant les pères et collaborateurs de La Civiltà Cattolica, le Pape François avait décliné une triade de caractéristiques essentielles pour le travail culturel des jésuites. Je me sou- viens que ce jour-là, le 14 juin dernier, dans un échange précédant la rencontre avec l’ensemble du groupe, il m’avait annoncé par avance la triade : dialogue, discernement, fron- tière. Il avait particulièrement insisté sur le dernier point, citant Paul VI qui, dans un fameux discours, avait dit des jésuites : « Partout dans l’Église, même dans les situations les plus difficiles et les plus actuelles, aux carrefours des idéologies et dans les tranchées sociales, il y a toujours eu et il y a confrontation entre les exigences brûlantes de l’homme et le message éternel de l’Evangile, et là étaient présents les jésuites et ils le sont encore ».

Je demande quelques éclaircissements au Pape : « Vous nous avez demandé d’être attentifs à ne pas tomber dans “la tentation de domestiquer les frontières : on doit aller vers les frontières et non transporter les frontières chez soi pour les vernir (verniciarli) un peu et les domestiquer”. A quoi vous référez-vous ? Qu’avez-vous l’intention de nous dire exactement ? Le présent entretien a été élaboré au sein d’un groupe de revues dirigées par la Compagnie de Jésus : à quoi souhaitez-vous les inviter ? Quelles doivent être leurs priorités ? ».

« Les trois mots-clés que j’ai adressés à la Civiltà Cattolica peuvent être étendus à toutes les revues de la Compagnie, avec sans doute des accents divers selon leur nature et leurs objectifs. Quand j’insiste sur la frontière, je me réfère à la nécessité pour l’homme de culture d’être inséré dans le contexte dans lequel il travaille et sur lequel il réfléchit. Il y a toujours en embuscade le danger de vivre dans un laboratoire. Notre foi n’est pas une foi-laboratoire mais une foi-chemin, une foi historique. Dieu s’est révélé comme histoire, non pas comme une collection de vérités abstraites. Je crains le laboratoire car on y prend les problèmes et on les transporte chez soi pour les domestiquer et les vernir, en dehors de leur contexte. Il ne faut pas transporter chez soi la frontière mais vivre sur la frontière et être audacieux.

« Quand on parle de problèmes sociaux, une chose est de se réunir pour étudier le problème de la drogue dans une villa miseria, et une autre, d’aller sur place, d’y vivre, de comprendre et d’étudier le problème de l’intérieur. Il existe une lettre remarquable du Père Arrupe sur la pauvreté, adressée aux Centros de Investigación y Acción Social (cias, Centres de recherche et d’action sociales), dans laquelle il dit clairement qu’on ne peut pas parler de pauvreté si on ne l’expérimente pas par une insertion directe dans les lieux où elle se vit. Ce mot d’“insertion” est dangereux parce que certains religieux l’ont pris comme un slogan et des catastrophes sont arrivées par manque de discernement. Mais il est vraiment important.

Il y a tant de frontières. Pensons aux religieuses qui vivent en milieu hospitalier : elles vivent aux frontières. J’ai beaucoup de gratitude pour l’une d’entre elles. Quand j’ai eu un problème au poumon à l’hôpital, le médecin m’a donné de la pénicilline et de la streptomycine à une certaine dose. La sœur qui se tenait dans la salle a triplé la dose parce qu’elle avait du flair (aveva fiuto), elle savait quoi faire parce qu’elle se tenait toute la journée auprès des malades. Le médecin, qui était certes compétent, vivait dans son laboratoire, la sœur vivait sur la frontière et dialoguait avec la frontière toute la journée. Tandis que domestiquer la frontière signifìe se limiter à parler à partir d’une position distanciée, à s’enfermer dans son laboratoire. C’est certes utile, mais, pour nous, la réflexion doit toujours partir de l’expérience ».

Comment l’homme se comprend lui-même

Je demande alors au Pape si cela vaut aussi bien, et comment, pour une importante frontière culturelle qu’est le défi anthropologique actuel. L’anthropologie à laquelle l’Église s’est traditionnellement rapportée et le langage dans lequel elle l’a exprimée restent une référence solide, fruit d’une sagesse et d’une expérience séculaires. Pourtant l’homme auquel l’Église s’adresse ne paraît plus les comprendre ou les considérer comme suffisants. Mon raisonnement est que l’homme s’interprète lui-même autrement que par le passé, à l’aide d’autres catégories, du fait des grands changements dans la société et d’une connaissance plus large de lui-même...

A ce moment-là, le Pape se lève et va prendre sur sa table son bréviaire. C’est un bréviaire en latin, bien usé. Il l’ouvre à l’Office des lectures du vendredi de la 27e semaine. Il me lit un passage tiré du Commonitorium Primum de saint Vincent de Lérins : ita étiam christiánae religiónis dogma sequátur has decet proféctuum leges, ut annis scílicet consolidétur, dilatétur témpore, sublimétur aetáte (“il en va de même pour les dogmes de la religion chrétienne : la loi de leur progrès veut qu’ils se consolident au cours des ans, se développent avec le temps et grandissent au long des âges”).

Le Pape poursuit : « Saint Vincent de Lérins fait la comparaison entre le développement biologique de l’homme et la transmission du depositum fidei (dépôt de la foi) d’une époque à l’autre : il croît et se consolide au fur et à mesure du temps qui passe. Ainsi, la compréhension de l’homme change avec le temps et sa conscience s’approfondit aussi. Pensons à l’époque où l’esclavage ou la peine de mort étaient admis sans aucun problème. Les exégètes et les théologiens aident l’Église à faire mûrir son propre jugement. Les autres sciences et leur évolution aident l’Église dans cette croissance en compréhension. Il y a des normes et des préceptes secondaires de l’Église qui ont été efficaces en leur temps, mais qui, aujourd’hui, ont perdu leur valeur ou leur signification. Il est erroné de voir la doctrine de l’Église comme un monolithe qu’il faudrait défendre sans nuance.

Du reste, à chaque époque, l’homme cherche à mieux se comprendre et à mieux s’exprimer. Avec le temps, l’homme change sa manière de se percevoir : une chose est l’homme qui s’exprime en sculptant la Nikè (Victoire) de Samothrace, une autre celui qui s’exprime dans l’œuvre du Caravage, une autre dans celle de Chagall, une autre encore dans celle de Dalí. Les formes dans lesquelles s’exprime la vérité peuvent être variées (multiformi), et cela, en effet, est nécessaire pour transmettre le message évangélique dans sa signification immuable.

L’homme est à la recherche de lui-même. Evidemment, dans cette recherche, il peut aussi se tromper. L’Église a vécu des époques de génie, comme par exemple celle du thomisme. Mais elle a vécu aussi des périodes de décadence de la pensée. Nous ne devons pas confondre par exemple le génie du thomisme avec le thomisme décadent. Pour ma part, j’ai malheureusement étudié la philosophie dans des manuels de thomisme décadent. Pour penser l’homme, l’Église devrait tendre au génie et non à la décadence.

Quand une expression de la pensée n’est-elle pas valide ? Quand la pensée perd de vue l’humain, quand elle en a peur ou qu’elle se laisse égarer sur elle-même. C’est la pen- sée trompée que l’on peut se représenter comme Ulysse confronté au chant des sirènes, comme Tannhäuser entouré d’une orgie de satyres et de bacchantes, comme Parsifal, au second acte de l’opéra de Wagner, au royaume de Klingsor. Pour développer et approfondir son enseignement, la pensée de l’Église doit retrouver son génie et comprendre toujours mieux comment l’homme s’appréhende aujourd’hui ».


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