Dans le deuxième chapitre, nous avons réfléchi sur ce manque de spiritualité profonde qui se traduit par le pessimisme, le fatalisme, la méfiance. Certaines personnes ne se donnent pas à la mission, car elles croient que rien ne peut changer et pour elles il est alors inutile de fournir des efforts. Elles pensent ceci : “Pourquoi devrais-je me priver de mon confort et de mes plaisirs si je ne vois aucun résultat important ?”. Avec cette mentalité il devient impossible d’être missionnaires. Cette attitude est précisément une mauvaise excuse pour rester enfermés dans le confort, la paresse, la tristesse de l’insatisfaction, le vide égoïste. Il s’agit d’une attitude autodestructrice, car « l’homme ne peut pas vivre sans espérance : sa vie serait vouée à l’insignifiance et deviendrait insupportable ». Si nous pensons que les choses ne vont pas changer, souvenons-nous que Jésus Christ a vaincu le péché et la mort et qu’il est plein de puissance. Jésus Christ vit vraiment. Autrement, « si le Christ n’est pas ressuscité, vide alors est notre message » (1 Corinthiens 15, 14). L’Évangile nous raconte que les premiers disciples allèrent prêcher, « le Seigneur agissant avec eux et confirmant la Parole » (Marc 16, 20). Cela s’accomplit aussi de nos jours. Il nous invite à le connaître, à vivre avec lui. Le Christ ressuscité et glorieux est la source profonde de notre espérance, et son aide ne nous manquera pas dans l’accomplissement de la mission qu’il nous confie.
Sa résurrection n’est pas un fait relevant du passé ; elle a une force de vie qui a pénétré le monde. Là où tout semble être mort, de partout, les germes de la résurrection réapparaissent. C’est une force sans égale. Il est vrai que souvent Dieu semble ne pas exister : nous constatons que l’injustice, la méchanceté, l’indifférence et la cruauté ne diminuent pas. Pourtant, il est aussi certain que dans l’obscurité commence toujours à germer quelque chose de nouveau, qui tôt ou tard produira du fruit. Dans un champ aplani commence à apparaître la vie, persévérante et invincible. La persistance de la laideur n’empêchera pas le bien de s’épanouir et de se répandre toujours. Chaque jour, dans le monde renaît la beauté, qui ressuscite transformée par les drames de l’histoire. Les valeurs tendent toujours à réapparaître sous de nouvelles formes, et de fait, l’être humain renaît souvent de situations qui semblent irréversibles. C’est la force de la résurrection et tout évangélisateur est un instrument de ce dynamisme.
De nouvelles difficultés apparaissent aussi continuellement, l’expérience de l’échec, les bassesses humaines qui font beaucoup de mal. Tous nous savons, par expérience, que parfois une tâche n’offre pas les satisfactions que nous aurions désirées, les fruits sont infimes et les changements sont lents, et on peut être tenté de se fatiguer. Cependant, quand, à cause de la fatigue, quelqu’un baisse momentanément les bras, ce n’est pas la même chose que les baisser définitivement, car on est submergé par un désenchantement chronique, par une paresse qui assèche l’âme. Il peut arriver que le cœur se lasse de lutter, car, au final, la personne se cherche elle-même à travers un carriérisme assoiffé de reconnaissances, d’applaudissements, de récompenses, de fonctions ; à ce moment-là, la personne ne baisse pas les bras, mais elle n’a plus de mordant ; la résurrection lui manque. Ainsi, l’Évangile, le plus beau message qui existe en ce monde, reste enseveli sous de nombreuses excuses.
La foi signifie aussi croire en lui, croire qu’il nous aime vraiment, qu’il est vivant, qu’il est capable d’intervenir mystérieusement, qu’il ne nous abandonne pas, qu’il tire le bien du mal par sa puissance et sa créativité infinie. C’est croire qu’il marche victorieux dans l’histoire « avec les siens : les appelés, les choisis, les fidèles » (Apocalypse 17, 14). Nous croyons à l’Évangile qui dit que le Règne de Dieu est déjà présent dans le monde, et qu’il se développe çà et là, de diverses manières : comme une petite semence qui peut grandir jusqu’à devenir un grand arbre (Matthieu 13, 31-32), comme une poignée de levain, qui fait fermenter une grande quantité de farine (Matthieu 13, 33), et comme le bon grain qui grandit au milieu de l’ivraie (Matthieu 13, 24-30), et peut toujours nous surprendre agréablement. Il est présent, il vient de nouveau, il combat pour refleurir. La résurrection du Christ produit partout les germes de ce monde nouveau ; et même s’ils venaient à être taillés, ils poussent de nouveau, car la résurrection du Seigneur a déjà pénétré la trame cachée de cette histoire, car Jésus n’est pas ressuscité pour rien. Ne restons pas en marge de ce chemin de l’espérance vivante !
Comme nous ne voyons pas toujours ces bourgeons, nous avons besoin de certitude intérieure, c’est-à-dire de la conviction que Dieu peut agir en toutes circonstances, même au milieu des échecs apparents, car « nous tenons ce trésor en des vases d’argile » (2 Corinthiens 4, 7). Cette certitude s’appelle “sens du mystère”. C’est savoir avec certitude que celui qui se donne et s’en remet à Dieu par amour sera certainement fécond (Jean 15, 5). Cette fécondité est souvent invisible, insaisissable, elle ne peut pas être comptée. La personne sait bien que sa vie donnera du fruit, mais sans prétendre connaître comment, ni où, ni quand. Elle est sûre qu’aucune de ses œuvres faites avec amour ne sera perdue, ni aucune de ses préoccupations sincères pour les autres, ni aucun de ses actes d’amour envers Dieu, ni aucune fatigue généreuse, ni aucune patience douloureuse. Tout cela envahit le monde, comme une force de vie. Parfois, il nous semble que nos efforts ne portent pas de fruit, pourtant la mission n’est pas un commerce ni un projet d’entreprise, pas plus qu’une organisation humanitaire, ni un spectacle pour raconter combien de personnes se sont engagées grâce à notre propagande ; elle est quelque chose de beaucoup plus profond, qui échappe à toute mesure. Peut-être que le Seigneur passe par notre engagement pour déverser des bénédictions quelque part, dans le monde, dans un lieu où nous n’irons jamais. L’Esprit Saint agit comme il veut, quand il veut et où il veut ; nous nous dépensons sans prétendre, cependant, voir des résultats visibles. Nous savons seulement que notre don de soi est nécessaire. Apprenons à nous reposer dans la tendresse des bras du Père, au cœur de notre dévouement créatif et généreux. Avançons, engageons-nous à fond, mais laissons-le rendre féconds nos efforts comme bon lui semble.
Pour maintenir vive l’ardeur missionnaire, il faut une confiance ferme en l’Esprit Saint, car c’est lui qui « vient au secours de notre faiblesse » (Romains 8, 26). Mais cette confiance généreuse doit s’alimenter et c’est pourquoi nous devons sans cesse l’invoquer. Il peut guérir tout ce qui nous affaiblit dans notre engagement missionnaire. Il est vrai que cette confiance en l’invisible peut nous donner le vertige : c’est comme se plonger dans une mer où nous ne savons pas ce que nous allons rencontrer. Moi-même j’en ai fait l’expérience plusieurs fois. Toutefois, il n’y a pas de plus grande liberté que de se laisser guider par l’Esprit, en renonçant à vouloir calculer et contrôler tout, et de permettre à l’Esprit de nous éclairer, de nous guider, de nous orienter, et de nous conduire là où il veut. Il sait bien ce dont nous avons besoin à chaque époque et à chaque instant. On appelle cela être mystérieusement féconds !