coeurtendre Admin
Nombre de messages : 13248 Age : 67 Localisation : Trois-Rivières Réputation : 1 Date d'inscription : 16/02/2007
| Sujet: 53/Les Évangiles rapportent à plusieurs reprises que Jésus priait.../ Mer 19 Juin - 22:16 | |
| Du Cénacle à Gethsémani
« Après le chant des psaumes, ils partirent pour le mont des Oliviers. » (Mc 14, 26.)Permettez-moi, chers frères dans le sacerdoce, de commencer ma lettre pour le Jeudi saint de cette année par les mots qui évoquent pour vous le moment où, après la dernière Cène, Jésus-Christ sortit pour aller au mont des Oliviers. Nous tous qui, par le sacrement de l'Ordre, avons une participation spéciale, une participation ministérielle au sacerdoce du Christ, nous nous recueillons intérieurement le Jeudi saint dans le souvenir de l'institution de l'Eucharistie, parce que cet événement marque le commencement et la source de tout ce que nous sommes dans l'Église et le monde, par la grâce de Dieu. Le Jeudi saint est le jour où est né notre sacerdoce, il est donc aussi notre fête chaque année. C'est un jour important et saint non seulement pour nous, mais pour l'Église entière, pour tous ceux dont Dieu a fait pour lui dans le Christ « une Royauté de prêtres » (Ap 1, 6). Pour nous, ce jour est particulièrement important et décisif, car le sacerdoce commun de tout le Peuple de Dieu est lié au service des ministres de l'Eucharistie, qui est notre devoir le plus sacré. C'est pourquoi, aujourd'hui, dans le recueillement, autour de vos évêques, vous renouvelez avec eux, dans vos cœurs, chers frères, la grâce qui vous a été donnée « par l'imposition des mains » (2 Tm 1, 6) dans le sacrement de l'Ordre.
En ce jour si extraordinaire, je voudrais, comme chaque année, me trouver avec vous tous et avec vos évêques, afin que nous ressentions tous un profond besoin de renouveler en nous la conscience de la grâce qu'est le sacrement qui nous unit intimement au Christ, prêtre et victime.C'est dans ce but que je désire, par la présente lettre, exprimer quelques réflexions sur l'importance de la prière dans notre vie, surtout par rapport à notre vocation et à notre mission. Après la dernière Cène, Jésus se dirige avec les apôtres vers le mont des Oliviers. Dans le cours des événements salvifiques de la Semaine sainte, la Cène représente pour le Christ le commencement de « son heure ». Et c'est pendant la Cène que commence la réalisation définitive de tout ce qui devait constituer cette « heure ». Au Cénacle, Jésus institue le sacrement, le signe d'une réalité qui est encore à venir dans la succession des événements. C'est pourquoi il dit : « Ceci est mon corps, donné pour vous » (Lc, 22, 19) ; « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang, versé pour vous » (Lc 22, 20). C'est ainsi que naît le sacrement du Corps et du Sang du Rédempteur auquel le sacrement de l'Ordre est étroitement lié, en vertu du commandement donné aux apôtres : « Vous ferez cela en mémoire de moi » (Lc 22,19). Les paroles de l'institution de l'Eucharistie non seulement anticipent ce qui sera accompli le jour suivant, mais elles soulignent aussi expressément que cet accomplissement désormais proche revêt le sens et la portée du sacrifice. En effet, « le Corps est donné... et le Sang, versé pour vous ». Ainsi Jésus, au cours de la dernière Cène, met dans les mains des apôtres et de l'Église le sacrifice véritable. Ce qui, au moment de l'institution, représente encore une annonce, bien que définitive, mais est aussi l'anticipation effective du sacrifice réel du Calvaire, deviendra ensuite, par le ministère des prêtres, « le mémorial » qui perpétue de manière sacramentelle la réalité même de la rédemption. Réalité centrale dans l'ordre de toute l'économie divine du salut. Sortant du Cénacle avec les apôtres et se dirigeant vers le mont des Oliviers, Jésus avance précisément vers l'accomplissement de son « heure » qui est le temps de l'achèvement pascal du dessein de Dieu et de toutes les annonces, lointaines et proches, que les « Écritures » comportent à ce sujet (Lc 24, 27). Cette « heure » marque aussi le moment où le sacerdoce se voit donner un sens nouveau et définitif comme vocation et service, fondé sur la révélation et l'institution divines. Nous retrouverons un développement plus ample de cette réalité dans la Lettre aux Hébreux, texte fondamental pour la connaissance du sacerdoce du Christ et de notre sacerdoce.Mais, dans le cadre des présentes réflexions, un fait apparaît essentiel : en allant vers l'accomplissement de toutes choses, qui culmine dans « son heure », Jésus avance grâce à la prière. La prière de Gethsémani ne se comprend pas seulement dans son rapport avec tout ce qui la suit au cours des événements du Vendredi saint, c'est-à-dire la Passion et la mort sur la Croix, mais aussi dans son rapport non moins étroit avec la dernière Cène. Au cours du repas d'adieu, Jésus accomplit ce qui était la volonté éternelle du Père à son égard et aussi sa propre volonté, sa volonté de Fils : « C'est pour cela que je suis venu à cette heure » (Jn 12, 27). Les paroles qui instituent le sacrement de l'Alliance nouvelle et éternelle, l'Eucharistie, constituent en quelque sorte le sceau sacramentel de la volonté éternelle du Père et du Fils, alors qu'arrive « l'heure » de son accomplissement définitif. À Gethsémani, le nom « Abba », qui a toujours sur les lèvres de Jésus une profondeur de sens trinitaire – c'est en effet le nom dont il se sert pour parler au Père et du Père, particulièrement dans la prière –, donne aux souffrances de la Passion le sens des paroles de l'institution de l'Eucharistie. De fait, Jésus vient à Gethsémani pour révéler encore un aspect de la vérité sur lui-même, le Fils ; et il le fait spécialement par ce mot : Abba. Et cette vérité, cette vérité inouïe sur Jésus-Christ, consiste en ce que, ayant « le rang qui l'égalait à Dieu », comme fils consubstantiel au Père, il est en même temps vrai homme. En effet, il se désigne fréquemment lui-même comme « le Fils de l'homme ». Jamais la réalité du Fils de Dieu n'a été manifestée autant qu'à Gethsémani : il « prend la condition d'esclave » (Ph 2, 7) selon la prophétie d'Isaïe (Is 53). La prière de Gethsémani, autant et plus que toute autre prière de Jésus, révèle la vérité sur l'identité, la vocation et la mission du Fils venu dans le monde pour accomplir la volonté paternelle de Dieu jusqu'au bout, lorsqu'il dira que « tout est accompli » (Jn 19, 30).
Cela est important pour tous ceux qui viennent se mettre « à l'école de prière » du Christ : c'est particulièrement important pour nous, prêtres. Jésus-Christ, le fils consubstantiel, se présente devant le Père et dit : « Abba ». Et, manifestant d'une manière que nous pourrions dire radicale sa condition d'homme véritable, de « Fils de l'homme », il demande que s'éloigne la coupe de l'amertume : « Mon Père, s'il est possible, que cette coupe passe loin de moi. » (Mt 26, 39 ; Mc 14, 36 ; Lc 22, 42.) Jésus sait que cela « n'est pas possible », que « la coupe » lui est donnée pour qu'il la « boive » jusqu'à la lie. Il dit toutefois précisément ceci : « S'il est possible, que s'éloigne de moi... » Il le dit au moment même où cette « coupe » qu'il avait ardemment désirée ( Lc 22, 15) est désormais devenue le sceau sacramentel de l'Alliance nouvelle et éternelle dans le sang de l'Agneau. Au moment où tout ce qui a été « fixé » de toute éternité est désormais « institué » sacramentellement dans le temps, introduit dans tout l'avenir de l'Église.
Jésus qui, au Cénacle, a réalisé cette institution ne peut assurément pas vouloir contredire la réalité désignée par le sacrement de la dernière Cène. Il en désire plutôt, de tout son coeur, l'accomplissement. Si, malgré tout, il prie pour que « s'éloigne de lui cette coupe », il manifeste ainsi devant Dieu et devant les hommes tout le poids de la mission qu'il doit assumer : se substituer à nous tous pour l'expiation du péché. Il manifeste aussi l'immensité de la souffrance qui emplit son coeur humain. Ainsi le Fils de l'homme se révèle solidaire de tous ses frères et soeurs qui font partie de la grande famille humaine, du commencement à la fin des temps. La souffrance est pour l'homme le mal – Jésus-Christ, à Gethsémani, en éprouve tout le poids, celui qui correspond à notre commune expérience, à notre attitude intérieure spontanée. Devant le Père, il garde toute la vérité de son humanité, la vérité d'un coeur humain oppressé par la souffrance, sur le point d'atteindre son dramatique sommet : « Mon âme est triste à en mourir » (Me 14, 34). Pourtant, personne n'est en mesure d'exprimer le véritable poids de cette souffrance d'homme avec les seuls critères humains. A Gethsémani, en effet, celui qui prie le Père est un homme qui est en même temps Dieu, consubstantiel au Père.
Les mots de l'évangéliste, « il commença à ressentir tristesse et angoisse » (Mt 26, 37), comme aussi tout le développement de la prière à Gethsémani, semblent montrer non seulement la peur face à la souffrance, mais également une crainte caractéristique de l'homme, une sorte de crainte liée au sens de la responsabilité. L'homme n'est-il pas cet être unique dont la vocation est de « se dépasser constamment » ? Jésus-Christ, « Fils de l'homme », exprime dans la prière par laquelle il commence la Passion le poids propre de la responsabilité pesant sur l'homme qui assume des tâches où il doit « se dépasser ». Les Évangiles rapportent à plusieurs reprises que Jésus priait, et même qu'il « passait la nuit en prière » ( Lc 6, 12) ; mais aucune de ces prières n'a été relatée d'une manière aussi profonde et pénétrante que celle de Gethsémani. Cela se comprend. En effet, aucun autre moment de la vie de Jésus n'a été aussi décisif. Aucune autre prière n'entrait aussi pleinement dans ce qui devait être « son heure ». D'aucune autre décision de sa vie ne dépendait autant que de celle-ci l'accomplissement de la volonté du Père, qui « a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas mais ait la vie éternelle » (Jn 3,16).
Quand Jésus dit à Gethsémani : « Que ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne qui se fasse » (Lc 22, 42), il révèle la vérité du Père et de son amour sauveur pour l'homme. La « volonté du Père » est précisément l'amour sauveur : le salut du monde doit être réalisé par le sacrifice rédempteur du Fils. Il est bien concevable que le Fils de l'homme, prenant sur lui cette mission, manifeste dans son dialogue décisif avec le Père la conscience qu'il a de la dimension surhumaine d'une telle mission où il accomplit la volonté du Père dans la profondeur divine de son union filiale avec lui. « J'ai mené à bonne fin l'oeuvre que tu m'as donné de faire » (Jn 17, 4). L'évangéliste ajoute : « Entré en agonie, il priait de façon plus instante » (Lc 22, 44). Et cette angoisse mortelle s'est manifestée aussi par la sueur qui, comme des gouttes de sang, coulait sur le visage de Jésus (Lc 22, 44). C'est l'expression extrême d'une souffrance qui se traduit dans la prière, et aussi dans une prière qui connaît la douleur, accompagnant le sacrifice anticipé sacramentellement au Cénacle, vécu profondément dans l'esprit à Gethsémani et qui va être consommé sur le Calvaire. C'est sur ces moments de la prière sacerdotale et sacrificielle de Jésus que je désire attirer votre attention, chers frères, en rapport avec notre prière et avec notre vie.
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