Question 6
Je m'appelle Dom Alberto: Très Saint-Père,
les jeunes sont notre avenir et notre espérance:
mais parfois ils voient dans la vie non pas une
opportunité mais une difficulté; non pas un don
pour soi et pour les autres, mais quelque chose
qu'il faut consommer tout de suite; non pas un
projet à construire, mais une errance sans but.
La mentalité d'aujourd'hui impose aux jeunes
d'être toujours fidèles et parfaits, avec la
conséquence que chaque petit échec et toute
difficulté minime ne sont plus considérés comme
un motif de croissance, mais comme une défaite.
Tout cela les conduit souvent à des gestes
irrémédiables comme le suicide, qui provoquent
un déchirement dans le cœur de ceux qui les
aiment et de toute la société. Que pouvez-vous
nous dire à nous éducateurs qui, souvent,
nous sentons les mains liées et sans réponses?
Merci.
Il me semble que vous avez donné une description précise d'une vie dans laquelle Dieu n'apparaît pas. Dans un premier moment, il semble que nous n'ayons pas besoin de Dieu, que, sans Dieu nous serions plus libres, et le monde apparaîtrait plus vaste. Mais après un certain temps, chez nos nouvelles générations, on constate ce qu'il advient lorsque Dieu disparaît. Comme l'a dit Nietzsche: "La grande lumière s'est éteinte, le soleil s'est éteint". La vie est alors quelque chose d'occasionnel, elle devient une chose et je dois chercher à faire au mieux avec cette chose et utiliser la vie comme si elle était une chose en vue d'un bonheur immédiat, palpable et réalisable. Mais le grand problème est que si Dieu est absent et qu'il n'est pas le Créateur de ma vie aussi, en réalité, la vie est une simple partie de l'évolution, rien d'autre; elle n'a pas de sens pour elle-même. Mais je dois au contraire tenter de mettre du sens dans cette partie d'être. Je vois actuellement en Allemagne, mais aussi aux Etats-Unis, un débat assez vif entre ce qu'on appelle le créationnisme et l'évolutionnisme, présentés comme s'ils étaient des alternatives qui s'excluent: celui qui croit dans le Créateur ne pourrait pas penser à l'évolution et celui qui en revanche affirme l'évolution devrait exclure Dieu. Cette opposition est une absurdité parce que, d'un côté, il existe de nombreuses preuves scientifiques en faveur d'une évolution qui apparaît comme une réalité que nous devons voir et qui enrichit notre connaissance de la vie et de l'être comme tel. Mais la doctrine de l'évolution ne répond pas à toutes les questions et surtout, elle ne répond pas à la grande question philosophique: d'où vient toute chose? et comment le tout s'engage-t-il sur un chemin qui arrive finalement à l'homme? Il me semble très important et c'est également cela que je voulais dire à Ratisbonne dans ma Conférence, que la raison s'ouvre davantage, qu'elle considère bien sûr ces éléments, mais qu'elle voit également qu'ils ne sont pas suffisants pour expliquer toute la réalité. Cela n'est pas suffisant, notre raison est plus ample et on peut voir également que notre raison n'est pas en fin de compte quelque chose d'irrationnel, un produit de l'irrationalité, mais que la raison précède toute chose, la raison créatrice, et que nous sommes réellement le reflet de la raison créatrice.
Nous sommes pensés et voulus et, donc, il existe une idée qui me précède, un sens qui me précède et que je dois découvrir, suivre et qui donne en fin de compte un sens à ma vie. Cela me semble le premier point: découvrir que mon être est réellement raisonnable, qu'il est pensé, qu'il a un sens et que ma grande mission est de découvrir ce sens, le vivre et donner ainsi un nouvel élément à la grande harmonie cosmique pensée par le Créateur. S'il en est ainsi, alors même les éléments de difficulté deviennent des moments de maturité, d'avancée et de progrès de mon être, qui a un sens depuis sa conception jusqu'au dernier moment de ma vie. Nous pouvons connaître cette réalité à partir du sens qui nous précède tous, nous pouvons également redécouvrir le sens de la souffrance et de la douleur; bien sûr, il y a une douleur que nous devons éviter et que nous devons éloigner du monde: de si nombreuses douleurs inutiles provoquées par les dictatures, par les systèmes erronés, par la haine et par la violence. Mais il y a aussi dans la douleur un sens profond et ce n'est que si nous pouvons donner un sens à la douleur et à la souffrance que peut mûrir notre vie. Je dirais surtout que l'amour n'est pas possible sans la douleur, parce que l'amour implique toujours un renoncement à moi-même, un abandon de moi, une acceptation de l'autre dans sa diversité; l'amour implique un don de moi et, donc, de sortir de moi-même. Tout cela est douleur, souffrance, mais c'est précisément dans cette souffrance de me perdre pour l'autre, pour l'aimé et donc pour Dieu, que je grandis et que ma vie trouve l'amour et dans l'amour, son sens. Le caractère inséparable de l'amour et de la douleur, de l'amour et de Dieu sont également des éléments qui doivent entrer dans la conscience moderne pour nous aider à vivre. En ce sens, je dirais qu'il est important de faire découvrir Dieu aux jeunes, de leur faire découvrir l'amour véritable qui précisément dans la renonciation devient grand, et de leur faire ainsi découvrir aussi la bonté intérieure de la souffrance, qui me rend plus libre et plus grand. Naturellement, pour aider les jeunes à trouver ces éléments, il y a toujours besoin d'une compagnie et d'un cheminement, que ce soit la paroisse ou l'Action catholique ou un mouvement, ce n'est qu'en compagnie des autres que nous pouvons également découvrir chez les nouvelles générations cette grande dimension de notre être.