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 Pèlerin Russe/Récit 16/Suite2/Ce que je dis ne vient pas de moi. . . /

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coeurtendre
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coeurtendre

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MessageSujet: Pèlerin Russe/Récit 16/Suite2/Ce que je dis ne vient pas de moi. . . /   Pèlerin Russe/Récit 16/Suite2/Ce que je dis ne vient pas de moi. . . / Icon_minitimeJeu 21 Oct 2021 - 2:01



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Pèlerin Russe/Récit 16/Suite2/Ce que je dis ne vient pas de moi. . . / Peller10





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Quel genre de livres avez-vous ? demandai-je. J’ai beaucoup de livres spirituels : voici le Ménologe [91] , les œuvres de Jean Chrysostome, de Basile le Grand, beaucoup d’ouvrages philosophiques ou théologiques et de nombreux sermons de prédicateurs contemporains. Cette bibliothèque m’a coûté cinq mille roubles. N’auriez-vous pas un ouvrage sur la prière ? demandai-je. J’aime beaucoup les livres sur la prière. Voici un opuscule tout récent, œuvre d’un prêtre de Pétersbourg. Le monsieur sortit un commentaire sur le Notre-Père et nous commençâmes à le lire. Bientôt arriva la dame, elle venait avec le thé et les enfants portaient une corbeille en argent pleine d’une sorte de pâtisserie, telle que je n’en avais jamais mangé. Le monsieur me prit le livre,le donna à la dame et dit :Elle va nous lire, elle lit très bien et pendant ce temps nous nous réconforterons. La dame se mit à lire. 




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Tout en écoutant, je sentais la prière qui montait dans mon cœur ; plus elle lisait et plus la prière se développait et me réjouissait. Soudain, je vis une forme passer rapidement dans l’air, comme si c’était mon défunt starets. Je fis un mouvement, mais, pour le cacher, je dis : – Pardonnez, je m’étais assoupi. A ce moment, j’eus l’impression que l’esprit du starets pénétrait mon esprit et l’illuminait, je sentis en moi comme une grande clarté et de nombreuses idées sur la prière. Comme je me signais et m’efforçais de chasser ces idées, la dame acheva sa lecture et le monsieur me demanda si cela m’avait plu. La conversation s’engagea là-dessus. Cela me plaît beaucoup, dis-je ; d’ailleurs le Notre-Père est plus haut et plus précieux que toutes les prières écrites que nous ayons ; car c’est le Seigneur Jésus Christ lui-même qui nous l’a enseigné. Le commentaire que vous en avez lu est très bon, mais il est entièrement tourné vers la vie active du chrétien, tandis que j’ai lu chez les Pères une explication qui est surtout mystique et orientée vers la contemplation.




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Dans quels Pères as-tu trouvé cela ?Eh bien, chez Maxime le Confesseur par exemple, et dans la Philocaliechez Pierre Damascène .Est-ce que tu t’en souviens ? Répète-le-nous si tu peux.Certainement. Début de la prière : Notre Père qui êtes aux cieux ; dans le livre que vous avez lu, on déclare que ces paroles signifient qu’il faut aimer fraternellement notre prochain, car nous sommes tous fils d’un même Père. C’est très juste, mais les Pères y ajoutent un commentaire plus spirituel – ils disent qu’en prononçant ces mots, il faut élever son esprit vers le Père céleste, et se rappeler l’obligation d’être à chaque instant en présence de Dieu. Les paroles : Que votre nom soit sanctifié s’expliquent dans ce livre par le soin qu’il faut mettre à ne pas invoquer en vain le nom du Seigneur ; mais les commentateurs mystiques y voient la demande de la prière intérieure du cœur, c’est-à-dire, pour que le nom de Dieu soit sanctifié, il faut qu’il soit gravé à l’intérieur du cœur et que par la prière perpétuelle il sanctifie et illumine tous les sentiments, toutes les forces de l’âme. 




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Les paroles Que votre Règne arrive sont expliquées ainsi par les Pères : Que viennent dans nos cœurs la paix intérieure, le repos et la joie spirituelle. Dans le livre, on explique que les paroles :Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien, concernent les besoins de notre vie corporelle, et ce qui est nécessaire pour venir en aide au prochain. Mais Maxime le Confesseur entend par pain quotidien le pain céleste qui nourrit l’âme, c’est-à-dire la Parole de Dieu, et l’union de l’âme avec Dieu par la contemplation et la prière 
perpétuelle à l’intérieur du cœur. Ah ! la prière intérieure est une œuvre difficile, elle est presque impossible à ceux qui vivent dans le monde, s’écria le monsieur ; il nous faut toute l’aide du Seigneur pour accomplir sans paresse la prière ordinaire. Ne parlez pas ainsi, petit père. Si c’était une tâche au delà des forces humaines, Dieu ne l’aurait pas commandée à tous. Sa force s’accomplit dans la faiblesse  et les Pères nous offrent des moyens qui facilitent la voie vers la prière intérieure. Je n’ai jamais rien lu de précis à ce sujet, dit le monsieur.




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Si vous voulez, je vous lirai des extraits de la Philocalie. Je pris ma Philocalie, cherchai un passage de Pierre Damascène dans la troisième partie, à la page 48, et lus ce qui suit :« Il faut s’entraîner à invoquer le nom du Seigneur, plus qu’à la respiration, en tout temps, en tout lieu et en toute occasion. L’Apôtre dit : Priez sans cesse ; il enseigne par là qu’il faut se souvenir de Dieu en tout temps, en tout lieu et en toutes choses. Si tu fabriques quelque chose, tu dois penser au Créateur de tout ce qui existe ; si tu vois la lumière, souviens-toi de Celui qui te l’a donnée ; si tu considères le ciel, la terre, la mer et tout ce qu’ils contiennent, admire, et glorifie Celui qui les a créés ; si tu te couvres d’un vêtement, pense à Celui de qui tu le tiens et remercie-Le, Lui qui pourvoit à ton existence. Bref, que tout mouvement te soit motif à célébrer le Seigneur, ainsi tu prieras sans cesse et ton âme sera toujours dans la joie. »Voyez comme ce procédé est simple, facile et accessible à tous ceux qui ont le moindre sentiment humain. Ce texte leur plut beaucoup. 




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Le monsieur m’embrassa avec enthousiasme, me  remercia, regarda ma Philocalie et dit :Il faut que j’achète ce livre ; je le commanderai à Pétersbourg ; mais, pour mieux m’en souvenir, je vais copier tout de suite ce passage que tu as lu, – dicte-moi. Et il le transcrivit aussitôt d’une belle écriture rapide. Puis il s’écria :Mon Dieu ! Mais justement j’ai une icône de saint Damascène (c’était probablement saint Jean Damascène ).Il ouvrit le cadre et fixa sous l’icône le papier qu’il venait d’écrire, en disant : — La parole vivante d’un
serviteur de Dieu placée sous son image m’incitera souvent à mettre en pratique ce conseil salutaire. Puis nous allâmes souper. Tout le monde était de nouveau à table en même temps que nous, – hommes et femmes. Quel silence recueilli et quel calme pendant le repas ! Après le souper, nous fîmes tous la prière y compris les enfants et on me fit lire l’hymne à Jésus Très-Doux. Les serviteurs allèrent se reposer et nous restâmes tous trois dans la pièce. Alors, la dame m’apporta une chemise blanche et des bas, – je m’inclinai profondément et dis :Petite mère, je ne peux prendre les bas, je n’en ai jamais porté, nous mettons toujours des bandes Elle revint bientôt avec une vieille blouse jaune de drap fin qu’elle coupa en bandes. 





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Et le monsieur, ayant déclaré que mes souliers ne valaient plus rien, m’en apporta une paire toute neuve qu’il chaussait par-dessus ses bottes. Va dans cette chambre, me dit-il ; il n’y a personne, tu pourras y changer de linge. J’allai me changer et je revins vers eux. Ils me firent asseoir sur une chaise et se mirent à me chausser, le monsieur m’enroulait les bandes et la dame me mettait les souliers. Au début, je ne voulais pas me laisser faire, mais ils me firent asseoir en disant :Assieds-toi et tais-toi, le Christ a lavé les pieds de ses disciples. Je ne pouvais pas résister et je me mis à pleurer ; – et eux, ils pleuraient aussi. Alors la dame partit près de ses enfants pour la nuit et, avec le monsieur, nous allâmes au jardin pour nous entretenir un peu dans le pavillon. 

Nous restâmes longtemps à veiller. Nous étions étendus par terre et nous causions. Soudain, il s’approcha de moi et me dit :Réponds-moi en conscience et en vérité, qui es-tu ? Tu dois être de famille noble et tu feins d’être innocent. Tu lis et écris parfaitement, tu penses et tu parles avec correction ; sûrement tu n’as pas reçu l’éducation d’un paysan. Je vous ai parlé d’un cœur pur à vous et à votre dame, j’ai raconté mes origines en toute vérité et je n’ai jamais pensé à mentir ni à vous tromper. Et dans quel 
but ?




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Ce que je dis ne vient pas de moi, mais de mon sage et défunt starets ou des Pères chez qui je l’ai lu ; et la prière intérieure qui plus que tout illumine mon ignorance, ce n’est pas moi qui l’ai acquise ; elle est née dans mon cœur par la miséricorde divine et grâce à l’enseignement du starets. Chacun peut en faire autant ; il suffit de se plonger plus silencieusement dans son cœur et d’invoquer un peu plus le nom de Jésus-Christ, aussitôt l’on découvre la lumière intérieure, tout devient clair, et dans cette clarté apparaissent certains mystères du Royaume de Dieu. Et c’est déjà un grand mystère lorsque l’homme découvre cette capacité de rentrer en soi, de se connaître vraiment et de pleurer doucement sur sa chute et sur sa volonté pervertie. Il n’est pas très difficile de penser sainement et de parler avec les gens, c’est une chose possible car l’esprit et le cœur existaient avant la science et la sagesse humaines. On peut toujours cultiver l’esprit par la science ou par l’expérience ; mais là où il n’y a pas d’intelligence, aucune éducation n’y fera rien. Ce qu’il y a, c’est que nous sommes loin de nous-même et que nous ne souhaitons guère nous en rapprocher, nous fuyons toujours pour ne pas nous trouver en face de nous-même, nous préférons des bagatelles à la vérité et nous pensons : j’aimerais bien avoir une vie spirituelle, m’occuper à la prière, mais je n’en ai pas le temps, les affaires et les soucis m’empêchent de m’y livrer vraiment. Mais qu’est-ce qui est plus important et plus nécessaire – la vie éternelle de l’âme sanctifiée, ou la vie passagère du corps pour lequel nous nous donnons tant de mal ? C’est ainsi que les gens parviennent soit à la sagesse, soit à la bêtise.




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Pardonne-moi, mon cher frère, je n’ai pas parlé par simple curiosité, mais par bienveillance et par sentiment chrétien, et, de plus, parce qu’il y a deux ans j’ai rencontré un cas tout à fait curieux.Un jour, arriva chez nous un vieux mendiant tout affaibli ; il avait le passeport d’un soldat libéré et était si pauvre qu’il allait presque nu ; il parlait peu et tout à fait comme un paysan. Nous le reçûmes à l’asile ; au bout de cinq jours, il tomba malade, on le transporta dans le pavillon et ma femme et moi nous occupâmes entièrement de lui. Lorsqu’il fut évident qu’il allait mourir, notre prêtre le confessa, lui donna la communion et les derniers sacrements. La veille de sa mort, il se leva, me demanda du papier et une plume, et insista pour que la porte restât fermée et que personne n’entrât pendant qu’il écrivait son testament, que je devais faire parvenir à son fils, à Pétersbourg. Je fus stupéfait quand je vis qu’il écrivait à la perfection et que ses phrases étaient parfaitement correctes, élégantes et pleines de tendresse. Je te montrerai demain ce testament, j’en ai gardé une copie. Tout cela m’étonna beaucoup et, pressé par la curiosité, je lui demandai de me raconter son origine et son existence. Il me fit jurer de n’en rien dire à personne avant sa mort et pour la gloire de Dieu il me fit le récit suivant :




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J’étais prince et très riche ; je menais la vie la plus dissipée, la plus brillante, la plus luxueuse qui soit. Ma femme était morte et je vivais avec mon fils qui était capitaine de la Garde. Un soir, en me préparant pour aller à un grand bal, j’entrai en colère contre mon valet de chambre ; dans mon impatience, je le frappai à la tête et ordonnai qu’on le renvoyât au village. Cela se passait le soir, et, le lendemain matin, le domestique mourut d’une inflammation du cerveau. Mais on n’y attacha guère d’importance et, tout en regrettant ma violence, j’oubliai complètement l’affaire. Au bout de six semaines, le valet de chambre commença à m’apparaître en songe ; chaque nuit, il venait m’importuner et me faire des reproches en répétant sans cesse : Homme sans conscience, tu m’as assassiné !



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 Puis, je le vis aussi pendant que j’étais éveillé. L’apparition devint de plus en plus fréquente et, à la fin, il était presque tout le temps là. Enfin, en même temps que lui, je me mis à voir d’autres morts, des hommes que j’avais grossièrement offensés, des femmes que j’avais séduites. Tous m’adressaient des reproches et ne me laissaient plus de repos, si bien que je ne pouvais plus dormir ni manger, ni faire quoi que ce soit ; j’étais à bout de forces et la peau me collait aux os. Les efforts des meilleurs médecins n’obtenaient aucun résultat. Je partis me soigner à l’étranger, mais, après six mois de cure, non seulement il n’y avait aucune amélioration, mais les terribles apparitions ne cessaient d’augmenter. On me ramena plus mort que vif ; mon âme, avant d’être séparée du corps, a connu là pleinement les tortures de l’enfer ; dès lors j’ai cru à l’enfer et j’ai connu ce qu’il est. Au milieu de ces tourments, je compris enfin mon infamie, je me repentis, me confessai, affranchis tous mes serviteurs et fis le vœu de passer le reste de ma vie dans les plus durs travaux et de me cacher sous l’habit d’un mendiant afin d’être le plus humble serviteur des gens de la plus basse condition. 


A peine avais-je pris fermement cette décision que les apparitions cessèrent. Ma réconciliation avec Dieu me donnait une telle joie, un tel sentiment de réconfort, que je ne puis l’exprimer vraiment. J’ai compris alors aussi par l’expérience ce qu’est le paradis et comment le royaume de Dieu se déploie à l’intérieur de nos cœurs. Bientôt, je fus complètement guéri, je mis mon projet à exécution et, muni du passeport d’un ancien soldat, je quittai en secret le lieu de ma naissance. Il y a quinze ans maintenant que j’erre à travers la Sibérie. Parfois, je me suis loué chez les paysans pour des travaux selon mes forces, parfois j’ai mendié au nom du Christ. Ah ! au milieu de ces privations, quel bonheur j’ai goûté ! Quelle béatitude, quelle paix de la conscience ! Seul peut le comprendre celui que la miséricorde divine a tiré d’un enfer de douleur pour le transporter au paradis de Dieu. Là-dessus, il me remit son testament pour l’expédier à son fils et le lendemain il mourut.



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