Par la consécration sacramentelle, le prêtre est configuré à Jésus Christ en tant que Tête et Pasteur de l'Église et reçoit le don d'un « pouvoir spirituel » qui est participation à l'autorité avec laquelle Jésus Christ, par son Esprit, guide l'Église. Grâce à cette consécration, opérée par l'effusion de l'Esprit dans le sacrement de l'Ordre, la vie spirituelle du prêtre est empreinte, modelée, et marquée par les comportements qui sont propres au Christ Tête et Pasteur de l'Église et qui se résument dans sa charité pastorale.
Jésus Christ est Tête de l'Église, son Corps. Il est « Tête » dans le sens nouveau et original d'être « serviteur », selon ses paroles mêmes : « Aussi bien, le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude » (Mc 10, 45). Le service de Jésus atteint sa plénitude par la mort sur la croix, c'est-à-dire par le don total de soi dans l'humilité et l'amour : « Il s'anéantit lui-même, prenant condition d'esclave et devenant semblable aux hommes. S'étant comporté comme un homme, il s'humilia plus encore, obéissant jusqu'à la mort, et à la mort sur la croix... » (Ph 2, 7- 8 ). L'autorité de Jésus Christ Tête coïncide donc avec son service, avec le don total de lui-même, humble et plein d'amour, à l'Église. Et cela, en parfaite obéissance au Père: il est l'unique vrai Serviteur souffrant du Seigneur, en même temps Prêtre et Victime.
La vie spirituelle de tout prêtre doit être animée et vivifiée par ce type précis d'autorité ou de service envers l'Église, précisément comme exigence de sa configuration à Jésus Christ Tête et serviteur de l'Église . C'est ainsi que saint Augustin s'adressait à un évêque le jour de son ordination : "Celui qui est à la tête du peuple doit avant tout se rendre compte qu'il est le serviteur de beaucoup. Et qu'il ne dédaigne pas de l'être, je le répète, qu'il ne dédaigne pas d'être serviteur de beaucoup parce que le Seigneur des seigneurs n'a pas dédaigné de se faire notre serviteur ».
La vie spirituelle des ministres du Nouveau Testament devra donc être empreinte de cette attitude primordiale de service à l'égard du peuple de Dieu (Mt 20, 24-28 ; Mc 10, 43-44), et exempte de toute présomption et de tout désir « de faire le seigneur » sur le troupeau qui leur est confié (1 P 5, 2-3). Un service accompli librement et de bon cœur, pour Dieu: de cette façon, les ministres - les « anciens » de la communauté, c'est-à-dire les prêtres - pourront être « forme » du troupeau qui, à son tour, est appelé à assumer au regard du monde entier cette même attitude sacerdotale de service pour le plein épanouissement de l'homme et sa libération intégrale.
L'image de Jésus Christ Pasteur de l'Église, son troupeau, reprend et présente, avec des nuances nouvelles et plus suggestives, les mêmes sens que celle de Jésus Christ Tête et Serviteur. Réalisant l'annonce prophétique du Messie Sauveur, chantée joyeusement par le psalmiste en prière et par le Prophète Ezéchiel (Ps 23/22 ; Ez 34, 11-16), Jésus se présente lui-même comme « le Bon Pasteur » (Jn 10, 11.14) non seulement d'Israël mais de tous les hommes ( Jn 10, 16). Et sa vie est une manifestation ininterrompue, et même une réalisation quotidienne de sa « charité pastorale » : il éprouve de la compassion pour les foules parce qu'elles sont fatiguées et épuisées, comme des brebis sans pasteur (cf. Mt 9, 35-36) ; il cherche celles qui sont perdues et dispersées (Mt 18, 12-14), et il éclate de joie quand il les a retrouvées ; il les rassemble et les défend ; il les connaît et les appelle une à une (Jn 10, 3) ; il les conduit sur des prés d'herbe fraîche et vers des eaux tranquilles (Ps 23/22) ; pour elles, il prépare la table, les nourrissant de sa propre vie. Le Bon Pasteur offre sa vie, dans sa mort et sa résurrection, comme le chante la liturgie romaine de l'Église : « Il est ressuscité, Jésus, le vrai Pasteur, lui qui a donné sa vie pour son troupeau, lui qui a choisi de mourir pour nous sauver, Alleluia » .
Pierre appelle Jésus le « Chef des pasteurs » (1 P 5, 4) parce que son œuvre et sa mission se poursuivent dans l'Église, par les Apôtres (Jn 21, 15-17) et leurs successeurs (cf. 1 P 5, 1-4), par les prêtres. En vertu de leur consécration, les prêtres sont configurés à Jésus le Bon Pasteur et sont appelés à imiter et à revivre sa propre charité pastorale.
Le don que le Christ fait de lui-même à son Église, fruit de son amour, prend le sens original du don propre de l'époux envers son épouse, comme le suggèrent plus d'une fois les textes sacrés. Jésus est l'époux véritable, qui offre le vin du salut à l'Église (cf. Jn 2, 11). Lui, qui est « la Tête de l'Église, lui le Sauveur du Corps » (Ep 5, 23), « a aimé l'Église et s'est livré pour elle, afin de la sanctifier en la purifiant par le bain d'eau qu'une parole accompagne ; car il voulait se la présenter à lui-même toute resplendissante, sans tache ni ride ni rien de tel, mais sainte et immaculée" (Ep 5,25-27). L'Église est certes le corps dans lequel le Christ Tête est présent et opérant, mais elle est aussi l'Épouse, qui sort comme une nouvelle Ève du côté ouvert du Rédempteur sur la Croix : c'est pourquoi le Christ se tient « devant » l'Église, « la nourrit et en prend soin » (Ep 5,29) par le don de sa vie pour elle. Le prêtre est appelé à être l'image vivante de Jésus Christ, Époux de l'Église : assurément, il reste toujours dans la communauté dont il fait partie, comme croyant, uni à tous ses frères et ses sœurs rassemblés par l'Esprit ; mais, en vertu de sa configuration au Christ Tête et Pasteur, il se trouve en cette situation sponsale, qui le place en face de la communauté. « En tant qu'il représente le Christ Tête, Pasteur et Époux de l'Église, le prêtre a sa place non seulement dans l'Église, mais aussi en face de l'Église » .
C'est pourquoi il est appelé, dans sa vie spirituelle, à revivre l'amour du Christ époux envers l'Église épouse. Sa vie doit donc être illuminée et orientée par ce caractère sponsal qui lui demande d'être témoin de l'amour sponsal du Christ ; ainsi sera-t-il capable d'aimer les gens avec un cœur nouveau, grand et pur, avec un authentique détachement de lui-même, dans un don de soi total, continu et fidèle. Et il en éprouvera comme une « jalousie » divine (2 Co 11, 2), avec une tendresse qui se pare même des nuances de l'affection maternelle, capable de supporter les « douleurs de l'enfantement » jusqu'à ce que « le Christ soit formé » dans les fidèles (Ga 4, 19). Le principe intérieur, la vertu qui anime et guide la vie spirituelle du prêtre, en tant que configuré au Christ Tête et Pasteur, est la charité pastorale, participation à la charité pastorale du Christ Jésus : don gratuit de l'Esprit Saint, et, en même temps, engagement et appel à une réponse libre et responsable de la part du prêtre.
Le contenu essentiel de la charité pastorale est le don de soi, le don total de soi-même à l'Église, à l'image du don du Christ et en partage avec lui. « La charité pastorale est la vertu par laquelle nous imitons le Christ dans son don de soi et dans son service. Ce n'est pas seulement ce que nous faisons, mais c'est le don de nous-mêmes qui manifeste l'amour du Christ pour son troupeau. La charité pastorale détermine notre façon de penser et d'agir, notre mode de relation avec les gens. Cela devient particulièrement exigeant pour nous... » .
Le don de soi, racine et sommet de la charité pastorale, a comme destinataire l'Église. Ainsi en a-t-il été du Christ « qui a aimé l'Église et s'est livré pour elle » (Ep 5, 25). Ainsi doit-il en être du prêtre. Avec la charité pastorale qui imprègne l'exercice du ministère sacerdotal, comme un « office d'amour », « le prêtre, qui accueille la vocation au ministère, est en mesure d'en faire un choix d'amour, par lequel l'Église et les âmes deviennent son intérêt principal. Vivant concrètement cette spiritualité, il devient capable d'aimer l'Église universelle et la partie qui lui en est confiée, avec tout l'élan d'un époux pour son épouse » . Le don de soi n'a pas de limites, marqué qu'il est par le même élan apostolique et missionnaire que le Christ, le Bon Pasteur, qui a dit : « J'ai encore d'autres brebis qui ne sont pas de cet enclos ; celles-là aussi il faut que je les mène ; elles écouteront ma voix ; et il y aura un seul troupeau et un seul pasteur » (Jn 10, 16). À l'intérieur de la communauté ecclésiale, la charité pastorale du prêtre demande et exige, d'une façon particulière et spécifique, qu'il soit en rapport personnel avec le presbyterium, en dépendance de l'évêque et avec lui, comme l'écrit explicitement le Concile : « La charité pastorale exige des prêtres, s'ils ne veulent pas courir pour rien, un travail vécu en communion permanente avec les évêques et leurs autres frères dans le sacerdoce » .
Le don de soi à l'Église la concerne en tant qu'elle est le corps et l'épouse de Jésus Christ. C'est pourquoi la charité du prêtre se relie d'abord à celle de Jésus Christ. C'est seulement si elle aime et sert le Christ Tête et Époux que la charité devient source, critère, mesure, impulsion de l'amour et du service du prêtre envers l'Église, corps et épouse du Christ. C'est bien ce dont l'Apôtre Paul a une conscience limpide et forte, lui qui écrit aux chrétiens de l'Église de Corinthe : « Nous ne sommes, nous, que vos serviteurs, à cause de Jésus » (2 Co 4, 5). C'est surtout l'enseignement explicite de Jésus qui ne confie à Pierre le ministère de paître son troupeau qu'après un triple témoignage d'amour, et même d'un amour de prédilection : « Il lui dit pour la troisième fois "Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ?" Pierre... lui dit : "Seigneur tu sais tout ; tu sais bien que je t'aime". Jésus lui dit : "Pais mes brebis" » (Jn 21, 17).
La charité pastorale, qui a sa source spécifique dans le sacrement de l'Ordre, trouve son expression plénière et son aliment principal dans l'Eucharistie : « Cette charité pastorale - lisons-nous dans le Concile - découle surtout du sacrifice eucharistique ; celui-ci est donc le centre et la racine de toute la vie du prêtre, dont l'esprit sacerdotal s'efforce d'intérioriser tout ce qui se fait sur l'autel du sacrifice » . C'est en effet dans l'Eucharistie qu'est représenté - plus précisément rendu à nouveau présent - le sacrifice de la Croix, le don total du Christ à son Église, le don de son corps livré et de son sang répandu, comme témoignage suprême de sa qualité de Tête et Pasteur, Serviteur et Époux de l'Église. C'est précisément pourquoi la charité pastorale du prêtre non seulement naît de l'Eucharistie, mais trouve dans la célébration de celle-ci sa plus haute réalisation. De même, c'est de l'Eucharistie que le prêtre reçoit la grâce et la responsabilité de donner un sens « sacrificiel » à toute son existence.
Cette même charité pastorale constitue le principe intérieur et dynamique capable d'unifier les diverses et multiples activités du prêtre. Grâce à elle, peut se réaliser l'exigence essentielle et permanente d'unité entre la vie intérieure et de nombreux actes et responsabilités du ministère. Or cette exigence est plus que jamais impérieuse dans un contexte socio-culturel et ecclésial fortement marqué par la complexité, la fragmentation et la dispersion. C'est seulement, en rapportant chaque instant et chaque geste au choix fondamental, celui de « donner sa vie pour le troupeau », que l'on peut assurer cette unité vitale, indispensable pour l'harmonie et l'équilibre de la vie spirituelle du prêtre : « Ce qui doit permettre aux prêtres de la construire, c'est de suivre, dans l'exercice du ministère, l'exemple du Christ Seigneur, dont la nourriture était de faire la volonté de celui qui l'a envoyé et d'accomplir son œuvre... Menant ainsi la vie même du Bon Pasteur, ils trouveront dans l'exercice de la charité pastorale, le lien de la perfection sacerdotale qui ramènera à l'unité leur vie et leur action » .