Le pain, le poisson et l'oeuf (Luc 11,12). - Au pain, Jésus oppose la pierre; au poisson, le serpent; à l'oeuf, le scorpion. Le pain désigne la charité: elle est le bien le plus désirable; elle est tellement nécessaire que sans elle tout le reste n'est rien, de même que sans pain une table est indigente. A la charité est opposée la dureté du coeur que Jésus compare à la pierre.
Le poisson figure la foi des choses invisibles, soit par allusion aux eaux du baptême, soit parce que le poisson est pêché dans des profondeurs invisibles; la foi d'ailleurs immobile au milieu des flots de ce monde qui l'assaillent de toute part, est très bien représentée par le poisson. A la foi Jésus oppose le serpent, parce que le serpent infecta le premier homme de son venin perfide, en le portant au mal par ses mensonges.
L'oeuf marque l'espérance; car l'oeuf n'est point un être parvenu au terme de la génération, mais donne l'espérance que la fécondation l'animera. Le scorpion est mis ici en opposition; c'est par derrière que le scorpion blesse de son dard empoisonné: ainsi l'opposé de l'espérance est de regarder en arrière, car l'espérance se porte en avant, vers les biens futurs.
La clef de la science (Luc 11,52). - Jésus dit aux scribes, c'est-à-dire aux docteurs des Juifs: «Vous avez pris la clef de la science et vous n'êtes point entrés et vous avez empêché ceux qui entraient.» Les Scribes ne voulaient point reconnaître dans l'Écriture divine l'humilité du Christ, ni permettre aux autres de la reconnaître.
La vie est plus que la nourriture (Luc 12,23). - Le Seigneur dit à ses disciples: «La vie est plus que la nourriture.» Donc celui qui vous a donné un plus grand bien, assurément ne vous refusera pas un bien moindre.
Les reins ceints et les lampes allumées (Luc 12,35). - Le Seigneur dit: «Que vos reins soient ceints,» par la modération dans l'amour des choses du siècle; «les lampes ardentes» marquent la fin légitime à laquelle cette modération elle-même doit être rapportée par une intention pure.
De la mesure de froment (Luc 12,42). - Le Seigneur dit à Pierre: «Quel est le dispensateur fidèle et prudent que son maître établira sur ses serviteurs pour distribuer à chacun dans le temps la mesure de froment» qui lui est destinée? La mesure indique la proportion à la capacité de chacun des auditeurs.
La nuée s'élevant du côté de l'Occident (Luc 12,63-64). - Cette nuée dont Notre-Seigneur dit: «Lorsque vous verrez une nuée s'élevant du côté du couchant,» figure son corps sortant glorieux du tombeau. De ce moment en effet la pluie de la parole évangélique arrosa toutes les plages de la terre. «Le vent du midi faisant sentir son souffle» avant les chaleurs, désigne les tribulation plus légères qui précéderont le jugement.
Contre l'orgueil (Luc 39). - Jésus ayant dit à ses disciples qu'il ne faut point être dans l'inquiétude au suret des aliments, ajouta: «Ne vous élevez point dans des pensées d'orgueil,» C'est qu'en effet l'homme recherche d'abord ces sortes de biens afin de pourvoir à la nécessité; mais quand ensuite il les a en abondance, il commence à en concevoir de l'orgueil, semblable à un blessé, qui se vanterait d'avoir beaucoup de remèdes à la maison, comme s'il ne serait pas meilleur pour lui d'être sans blessure, et de n'avoir besoin d'aucun remède.
- De l'hydropique et de la femme courbée (Luc 14,3 Luc 14,5 Luc 13,11-16). - Notre-Seigneur compare très justement l'hydropique à un animal tombé dans un puits, une telle maladie provenant de l'excès des humeurs: de même, parlant de cette femme courbée depuis dix-huit ans et qu'il avait délivrée, il la compare à un animal qu'on délie pour le mener à l'abreuvoir. Dans l'hydropique nous voyons la fidèle représentation du riche avare. Plus les humeurs déréglées abondent dans l'hydropique, plus il est consumé par la soif: de même plus les richesses dont on fait mauvais usage affluent, plus ces désirs de la cupidité s'allument chez l'avare. La femme courbée par la maladie, impuissante à se redresser, est le type de l'âme que les pensées terrestres ont affaiblie et abaissée, et qui ne peut plus s'occuper des choses divines.
Des invités au repas du soir (Luc 14,21-23). - Les invités que l'on amène de la ville au souper désignent ceux de la nation juive qui ont cru au Christ; c'est-à-dire ces infirmes qui sentant le poids de leurs péchés n'ont point eu l'orgueil de cette apparente justice, dont le mensonge éloignait de la grâce du salut les maîtres d'Israël. Les autres invités que le maître du festin fait chercher le long des haies et sur les chemins tant qu'il reste des places à sa table, sont la figure des gentils dispersés sur tous les chemins par la division des sectes, meurtris et embarrassés par les épines de leurs péchés.
Bâtir une tour, et se préparer à la guerre (Luc 14,28-34). - Les dépenses pour la contraction d'une tour représentent les forces qu'il faut déployer pour devenir disciple de Jésus-Christ, et les dix mille hommes menés au combat par celui qui s'avance contre un roi qui en a vingt mille, figurent la simplicité du chrétien devant combattre contre la duplicité du démon, c'est-à-dire contre ses ruses et ses tromperies; simplicité que Jésus fait consister dans le renoncement intérieur à tout ce que l'on possède. Voici en effet la conclusion qui suit: «Ainsi donc, quiconque parmi vous ne renonce pas à tout ce qui lui appartient, ne peut être mon disciple.» Dans cet universel renoncement, il faut aussi comprendre la vie du corps dont la possession doit nous paraître tellement temporaire et provisoire que la menace d'en être dépouillé ne puisse faire sacrifier la vie de l'éternité. De même que Jésus nous détourne de laisser la tour inachevée, rappelant les insultes de ceux qui diront: «Cet homme a commencé à bâtir et n'a pu terminer;» de même dans l'exemple du roi contre lequel il faut combattre il condamne la paix quand il dit: «Il lui envoie une ambassade lorsqu'il est encore loin pour lui faire des propositions de paix,» faisant voir par là que les assauts des démons font succomber les hommes qui ne renoncent pas à tout ce qu'il possèdent, et que ces hommes font la paix avec le diable, se livrant à ses suggestions pour commettre le péché. Ainsi bâtir une tour, combattre contre le roi ennemi, c'est être disciple de Jésus-Christ: posséder les ressources pour achever la tour, disposer de dix mille hommes de troupes contre les vingt mille de l'ennemi, c'est renoncer à tout ce que l'on possède.
Le sel affadi et la brebis perdue (Luc 14,34-35 Luc 15,4-10). - Le sel affadi désigne l'apostat; la brebis perdue, tous les pécheurs qui se réconcilient avec Dieu par la pénitence. Le pasteur porte sur ses épaules la brebis retrouvée, parce que c'est en s'abaissant que Jésus releva ces pécheurs. Les brebis laissées dans le désert sont au nombre de quatre-vingt-dix-neuf, parce qu'elles figurent les superbes qui se font comme une solitude dans leur coeur en voulant être seuls remarqués: l'unité leur manque, pour qu'ils soient parfaits. Quiconque en effet s'arrache à l'unité véritable, le fait par orgueil: car, dès que l'on aspire à l'indépendance on se détache de l'unité qui est Dieu même. C'est pourquoi les quatre-vingt-dix-neuf brebis et les neuf drachmes sont mises pour figurer ceux qui présumant d'eux-mêmes se préfèrent aux pécheurs retournant au salut. L'unité manque au nombre neuf pour compléter la dizaine, et au nombre quatre-vingt-dix-neuf pour former la centaine, et ainsi de suite pour toute la série des nombres, à neuf-cent quatre-vingt-dix-neuf pour atteindre le mille, à neuf mille neuf-cent-quatre-vingt-dix-neuf pour la dizaine de mille. On peut en multipliant ou en divisant varier indéfiniment les nombres auxquels la perfection fait défaut par l'absence de l'unité. Celle-ci au contraire, immuable en elle-même, venant à s'ajouter, imprime le sceau de la perfection. C'est à l'unité que le Sauveur ramène les pécheurs convertis par la pénitence fruit de l'humilité.
L'enfant prodigue (Luc 15,11-32). - Cet homme qui a deux fils, c'est Dieu, père de deux peuples qui sont comme les deux branches de la race humaine, le peuple des hommes demeurés fidèles au culte d'un sans Dieu, et le peuple des idolâtres, qui abandonnèrent le Seigneur. Mais il faut remonter à l'origine de la création de l'homme pour approfondir cette histoire. Le fils aîné est le type de la fidélité au culte du vrai Dieu. Le plus jeune part pour une contrée lointaine. Il a demandé à son père la portion d'héritage qui lui revient. Telle est l'âme que la jouissance de son pouvoir a séduite. Son patrimoine, c'est-à-dire la vie, l'intelligence, la mémoire, la sublimité et la promptitude du génie, tous ces dons de la munificence divine sont plis à sa disposition par le libre arbitre; c'est pourquoi. «le père distribua son bien à ses enfants.» Le plus jeune partit pour un pays lointain. Il abusa des dons naturels, il abandonna son père, délaissant le Créateur pour se livrer à la jouissance des créatures. - Il est représenté, «peu de jours après rassemblant tout ses biens, et s'en allant dans une contrée lointaine.» C'est qu'en effet, peu de jours après la création du genre humain, l'âme, cette créature raisonnable, voulut être, par son libre arbitre, maîtresse absolue d'elle-même et de ses facultés, et se détacher de son Créateur pour s'appuyer sur ses propres forces. Mais plus elle s'éloigna de Celui qui était la source de sa vie, plus elle fut promptement épuisée. C'est pourquoi l'Evangile appelle une vie de débauche et d'excès la vie répandue et dissipée dans les pompes extérieures et vide au dedans: l'homme qui s'y livre poursuit les vanités qu'elle enfante, et abandonne Dieu qui est au dedans de lui. Cette région lointaine, c'est donc l'oubli de Dieu. La famine survenue dans ce pays, c'est la privation de la parole de vérité.
Le prodigue ne dit pas tout ce qu'il s'était promis de dire; il va seulement jusqu'à ces paroles: «Je ne suis pas digne d'être appelé votre fils.» Car Dieu veut opérer par la grâce ce dont il se reconnaît indigne à cause de ses fautes. Il n'ajoute pas ce qu'il s'était proposé d'abord dans sa première résolution: «Traitez-moi comme l'un de vos mercenaires.» Quand il était privé de pain, il allait jusqu'à souhaiter la condition de mercenaire; mais après que son père l'a embrassé, il n'a plus pour elle qu'un noble et généreux dédain.
La première robe symbolise la dignité perdue par Adam; les serviteurs qui l'apportent sont les prédicateurs du pardon. L'anneau placé au doigt de la main, gage du Saint-Esprit, figure bien la participation à la grâce. Les chaussures aux pieds marquent la préparation à la prédication de l'Évangile par le détachement des biens de la terre. Le veau gras, c'est le Seigneur lui-même, mais rassasié d'opprobres selon la chair. L'ordre est donné d'amener le veau gras: qu'est-ce à dire, sinon qu'il faut annoncer le Seigneur, et en l'annonçant, le faire entrer dans les entrailles du fils exténué par la faim? L'ordre est donné aussi d'immoler la victime; de répandre le souvenir de la mort du Sauveur: or, il est immolé réellement pour chacun de nous, lorsque nous croyons que pour nous il est mort . «Et réjouissons-nous,» ajoute le texte sacré; ceci a trait aux motifs d'allégresse qui vont être allégués: «Parce que mon fils que voici était mort, et il est ressuscité; il était perdu, et il est retrouvé.» Et maintenant ce festin et cette fête se célèbrent dans tout l'univers, où l'Eglise est répandue et disséminée. Car ce veau gras figure le corps et le sang du Seigneur qui s'offre au Père céleste et nourrit toute sa famille.
Le fils aîné, qui n'est pas parti pour une région lointaine, mais qui n'est pas néanmoins dans la maison, c'est le peuple d'Israël selon la chair. Il est aux champs, c'est-à-dire, qu'au sein même de l'héritage et des richesses de la Loi et des Prophètes, il se livre de préférence aux oeuvres de la terre et à toutes sortes d'observations judaïques. Il s'est trouvé parmi eux un grand nombre d'hommes animés de ces sentiments, et souvent encore on en rencontre de semblables. Revenant des champs, il s'approche de la maison . en d'autres termes, occupé sans amour d'un travail tout terrestre, il considère d'après les saintes Écritures la liberté faite à l'Église. Il entend la musique et la danse, c'est-à-dire, les hommes remplis de l'Esprit-Saint, qui annoncent l'Évangile d'une commune voix, suivant la recommandation de l'Apôtre: «Je vous a conjure, mes frères, leur dit-il, par le nom de a Jésus-Christ Notre-Seigneur, de faire en sorte a que vous n'ayez qu'un même langage (1Co 1,10).»
Il entend aussi les concerts de louanges qui s'élèvent vers Dieu, comme d'un seul coeur et d'une seule âme. Il appelle un des serviteurs et lui demande ce qui se passe, en d'autres termes il ouvre un des livres des Prophètes, et le compulsant, il l'interroge en quelque solde pour savoir ce que signifient les fêtes qu'on célèbre dans cette Église, en dehors de laquelle il se trouve placé. Le serviteur de son père, le prophète lui répond: «Votre frère est revenu, et votre père a tué le veau gras, parce qu'il l'a recouvré en santé.» Votre frère était, en effet aux extrémités de la terre. Mais ce qui augmente l'allégresse de ceux qui chantent au Seigneur un cantique nouveau, c'est que ses louanges viennent des extrémités du monde (Is 42,10); et pour célébrer le retour de celui qui était absent, on a mis à mort l'homme de douleur et sachant l'infirmité (Is 53,3); et ceux auxquels il n'avait point été annoncé, l'ont vu; et ceux qui n'ont point entendu parler de lui, l'ont contemplé (Is 53,15).
Et maintenant encore Israël s'indigne et refuse d'entrer. Lors donc que la plénitude des nations sera entrée, son Père sortira au moment opportun, afin que tout Israël soit sauvé; ce peuple est tombé en partie dans l'aveuglement, que figure l'absence du fils aîné à la campagne, jusqu'à ce que la plénitude du plus jeune revienne de son long égarement au milieu de l'idolâtrie des nations, pour manger le veau gras dans la maison paternelle (Rm 11,25). Car, un jour, la vocation des Juifs au salut, qui vient de l'Évangile, sera manifestée. Or, c'est ce que signifie la démarche du Père pour appeler son fils aîné.
La réponse de ce dernier, fait naître deux questions: Comment peut-on dire du peuple Juif qu'il n'a jamais transgressé les ordres de Dieu? Et qu'est-ce à dire qu'il n'a jamais reçu de chevreau, pour se réjouir avec ses amis? En ce qui concerne le premier point, on devine facilement qu'il n'est pas question de tous les commandements, mais seulement de celui qui est le plus nécessaire, je veux parler, de celui qui défend d'adorer aucun autre Dieu que le souverain Créateur de toutes choses (Ex 20,3): on comprend d'ailleurs que ce fils ne personnifie pas tous les Israëlites indistinctement, mais ceux d'entre eux qui n'ont jamais quitté le culte du vrai Dieu pour celui des idoles. En effet, quoique ce fils, en quelque sorte placé aux 'champs, désirât les choses terrestres, cependant c'est du Dieu unique qu'il, attendait ces biens, qui lui étaient communs avec les animaux. Aussi la synagogue est-elle bien personnifiée dans ce psaume d'Asaph: «Je suis devant vous comme une bête; mais néanmoins je suis toujours vous (Ps 72,23).» C'est ce que corrobore également le témoignage du père lui-même, formulé en ces termes: «Vous êtes toujours avec moi.» Il ne reproche pas à son fils une sorte de mensonge, mais faisant l'éloge de sa persévérance à demeurer avec lui, il l'invite par là même à prendre une part plus grande et plus parfaite à la joie.
Quel est maintenant ce chevreau, qu'il n'a jamais eu pour faire un festin? Il est certain d'abord que le chevreau est ordinairement le symbole du pécheur. Mais loin de moi de reconnaître ici l'Antéchrist. Car je ne vois pas comment on pourrait appliquer jusqu'au bout cette interprétation. Il serait trop absurde que le fils, à qui il est donné d'entendre ces paroles: «Vous êtes toujours avec moi,» eût exprimé à son père le désir de croire à l'Antéchrist. Il n'est pas non plus permis de voir dans ce fils la personnification de ceux d'entre les Juifs qui croiront à l'Antéchrist. Dans l'hypothèse où ce chevreau serait la figure de l'Antéchrist, comment ce fils pourrait-il en manger puis qu'il ne mettrait pas en lui sa foi? Ou bien, si manger du chevreau ne signifie rien autre chose que la joie causée par la perte de l'Antéchrist, comment le fils, que le père accueille si bien, dit-il que cette joie ne lui a pas été accordée, tandis que tous les enfants de Dieu applaudiront à la condamnation de son adversaire?
A mon sens (et ce que je vais dire, dans une matière aussi obscure, ne doit pas empêcher un examen plus attentif,) il se plaint donc de ce que le Seigneur lui-même lui a été refusé pour son festin, attendu que le Seigneur est un pécheur à ses yeux. Ce peuple considérant le Sauveur comme un chevreau, en d'autres termes, voyant en lui un violateur du sabbat et un profanateur de la Loi, n'a pas mérité de prendre part à ses joies: ainsi: «Vous ne m'avez jamais donné un chevreau pour en manger avec mes amis,» reviendrait à dire celui qui était à fies yeux un chevreau, vous ne me l'avez jamais donné pour me réjouir, et vous ne me l'avez point accordé, précisément parce que je le considérais comme un chevreau, «Avec mes amis,» s'entend des chefs en union avec le peuple, ou du peuple de Jérusalem assemblé avec les autres peuples de Juda. Quant aux femmes perdues, avec lesquelles le plus jeune fils est accusé d'avoir dissipé son patrimoine, elles désignent très bien les passions honteuses, qui ont fait abandonner l'alliance unique et légitime du vrai Dieu, pour rechercher dans les superstitions païennes l'union adultère avec la foule des démons.