Chapitre 8 - Le Calvaire
Situation et description du Calvaire. - Partie du mont Moria. Trois cimes du mont Moria. - Par quoi elles furent occupées. - La cime du Calvaire hors de Jérusalem, au temps de Notre-Seigneur. - Le Calvaire tel qu'il est aujourd'hui. - Passage de Monseigneur Mislin. - Il porte encore la marque des prodiges dont il fut le théâtre. - Citation d'Adricome et d'un voyageur protestant. - Étymologie du mot Calvaire. - La tête d'Adam enterrée sur le Calvaire. Antique tradition de l'Orient.Immédiatement après la Porte Judiciaire, commençait le Calvaire proprement dit. Avant de toucher le sol de cette colline sur laquelle vont s'accomplir, dans quelques instants, de si prodigieux mystères, entre autres la mort du Fils de Dieu et la conversion de Dimas, essayons de la décrire. Afin de nous orienter, disons d'abord un mot de la situation de Jérusalem. Cette ville est bâtie sur une montagne, ayant la forme d'une presqu'île dont les abords, abrupts au nord, à l'est, au sud et même à l'ouest en partie, sont circonscrits par les vallées étroites et profondes de Josaphat, de Gihon et de Gehenna. Cette montagne a plusieurs sommets de hauteurs inégales : le plus célèbre est le Calvaire.
Recueillons-nous pour entendre ce que va nous en dire un grand évêque d'Orient, maître illustre de disciples plus illustres encore, saint Chrysostome, saint Basile, saint Athanase. «Le Calvaire, dit Diodore de Tarse, faisait partie du mont Moria. Le mont Moria se divisait en plusieurs collines et monticules. A la partie orientale, était le sommet appelé Sion, où se trouvait la citadelle de David. Près de là, était l'aire ou le champ d'Ornan le Jébuséen, acheté par David, et qui devint l'emplacement du temple de Salomon, comme il est dit au livre II des Paralipomène. Une autre partie du Moria, appelée Calvaire, reste hors de l'enceinte de la ville. C'est là que fut immolé Isaac, et le Christ, figuré par Isaac».
D'autres voyageurs, postérieurs à l'évêque de Tarse, et non moins exacts, distinguent trois cimes dans le mont Moria : la première, Sion, ainsi appelée à cause de sa hauteur ; la seconde, Moria proprement dit ; la troisième, Calvaire. A Sion, la cité et la citadelle de David ; à Moria, le temple de Salomon ; au Calvaire, le crucifiement du Christ.De nos jours, un savant prélat, Mgr Mislin, nous fait connaître le Calvaire en particulier. «Au temps de Notre-Seigneur, le Calvaire était hors de l'enceinte de la ville et de la Porte Judiciaire : c'est là que Notre-Seigneur souffrit, extra portam passas est.
Aujourd'hui le Calvaire est renfermé dans les murs de Jérusalem. Or, par les recherches sur la situation et la circonférence de l'ancienne ville, il a été démontré que les murs d'alors n'avaient pas la même direction qu'aujourd'hui.
«D'après l'ancienne délimitation, tout l'espace où se trouvent le couvent latin, la plus grande partie du couvent grec et l'église du Saint-Sépulcre, est en dehors des anciens murs, dont on remarque des restes incontestables près de la Porte Judiciaire. Cette partie de la ville actuelle, où, déjà du temps de Notre-Seigneur, il y avait des jardins, tels que celui de Joseph d'Arimathie, et quelques maisons isolées, fut, par Agrippa l'Ancien, entourée d'un mur, qui forma la troisième enceinte de Jérusalem. Ce changement eut lieu environ dix ans après la mort de Notre-Seigneur». Malgré cette modification superficielle, le Calvaire conserve en lui-même les preuves de son identité et des prodiges
dont il fut le théâtre. C'est ainsi que, malgré les révolutions du globe, la terre garde dans les fossiles, cachés au fond de ses entrailles, la preuve palpable du récit mosaïque. Citons seulement le rocher fendu à la mort de Notre-Seigneur : ce rocher se voit encore.Le célèbre Adricome, qui l'avait examiné, il y a trois siècles, le décrit en ces termes : «Sur le mont pierreux du Calvaire existe la preuve de la rupture des rochers. On peut voir la déchirure qui, à la mort de Notre-Seigneur, se fit à la gauche de sa croix, perpendiculairement au-dessous de la croix du mauvais larron. Elle conserve encore les traces du sang du Seigneur. Telle est la largeur de la déchirure, qu'elle peut laisser passer un corps humain. Elle est si profonde, que les curieux ont vainement tenté de la sonder. On dirait qu'elle descend jusqu'aux enfers ; et que, comme au larron de la main droite, la route du ciel fut ouverte par la mort du Rédempteur ; ainsi, par la déchirure de ce rocher fut préparée au larron de la main gauche, comme autrefois au rebelle Coré, le chemin de l'enfer».
Écoutons maintenant un voyageur moderne, voyageur protestant, cité par un autre protestant : «Un gentilhomme anglais, homme très estimable, qui avait voyagé dans la Palestine, m'a assuré que son compagnon de voyage, déiste plein d'esprit, cherchait, chemin faisant, à tourner en ridicule les récits que les prêtres catholiques leur faisaient sur les Lieux sacrés. Ce fut dans ces dispositions qu'il alla visiter les fentes du rocher, que l'on montre sur le mont Calvaire, comme l'effet du tremblement de terre arrivé à la mort de Jésus-Christ, et que l'on voit aujourd'hui renfermé dans le vaste dôme construit par l'empereur Constantin.«Mais lorsqu'il vint à examiner ces ouvertures, avec l'exactitude et l'attention d'un naturaliste, il dit à son ami : "Je commence à être chrétien. J'ai fait, continua-t-il, une longue étude de la physique et des mathématiques, et je suis assuré que les ruptures du rocher n'ont jamais été produites par un tremblement de terre ordinaire et naturel.
Un ébranlement pareil eût, à la vérité, séparé les divers lits dont la masse est composée ; mais c'eût été en suivant les veines qui les distinguent, et en rompant leur liaison par les endroits les plus faibles. J'ai observé qu'il en est ainsi dams les rochers que les tremblements de terre ont soulevés, et la raison ne nous apprend rien qui n'y soit conforme.«Ici, c'est tout autre chose. Le roc est partagé transversalement, la rupture croise les veines d'une façon étrange et surnaturelle. Je vois donc clairement et démonstrativement que c'est le pur effet d'un miracle, que ni l'art ni la nature ne pouvaient produire. C'est pourquoi, ajouta-t-il, je rends grâces à Dieu de m'avoir conduit ici, pour contempler ce monument de son merveilleux pouvoir, monument qui met dans un si grand jour la divinité de Jésus-Christ».
Comme il vient d'être dit, le Calvaire est maintenant renfermé dans l'enceinte de la ville. Les rampes inférieures sont couvertes de maisons, et le sommet, ainsi que les parties adjacentes, compris dans l'église du Saint-Sépulcre. Le lieu de la grande exécution nous est connu. Avant d'en gravir le sommet, à la suite de Notre-Seigneur et de Ses compagnons de supplice, arrêtons-nous un instant : car jusqu'au nom de cette colline tout est mystère.Calvaire, en syro-chaldaïque Golgotha, veut dire Lieu du crâne. D'où peut venir cette étrange dénomination ? Pour le savoir, il faut interroger la tradition de l'antique Orient.«Elle vient, répond-elle, de ce que le crâne d'Adam fut déposé au sommet de cette montagne. Lorsque les eaux du déluge furent au moment d'envahir la terre et de réduire en poudre les os des hommes, ou de les mêler avec ceux des animaux, Noé recueillit les ossements d'Adam et les plaça religieusement dans l'arche.«Après le déluge, il les partagea entre ses fils. À Sem, comme étant l'aîné, il donna la tète du Père du genre humain, et avec elle la Judée. Soit par l'ordre prophétique de Noé, soit par son inspiration personnelle, Sem ensevelit sur le Golgotha la tête du premier Adam, afin que le sang du second Adam donnât la vie au monde, dans le lieu même où reposait celui qui lui avait donné la mort. De ce fait la montagne prit son nom de Calvaire, lieu du crâne». Quelque étonnante qu'elle paraisse au premier coup d'œil, les plus illustres Pères de l'Orient et de l'Occident n'ont pas hésité à recevoir cette belle tradition et à s'en faire les interprètes. Outre l'autorité du savant maître de saint Éphrem, que nous venons de citer, et celle de tant d'autres que nous citerons bientôt, elle s'appuie sur les conseils mystérieux de la sagesse divine et se trouve en harmonie, soit avec les sentiments de la nature, soit avec les mœurs des anciens patriarches.
«Tous les peuples du monde, dit le savant Masio, ont pris un soin religieux des dépouilles des morts illustres. C'est un sentiment inné dans l'homme. Aussi nulle part, on n'a traité les ossements ou les cendres des morts, comme des choses profanes et inanimées. Bien que séparés de l'âme, ils conservent je ne sais quel germe d'immortalité, qui leur laisse une sorte de vie, en attendant qu'ils la reprennent tout entière, réintégrés dans leur premier état». En Égypte, les morts étaient l'objet de soins presque superstitieux. Ce qu'il y avait de plus sacré chez les Romains, c'était la religion des tombeaux. De là, tant de monuments somptueux pour conserver les cendres de leurs morts. Ainsi des autres peuples civilisés. N'a-t-on pas vu, même les sauvages du nouveau monde, fuyant devant la conquête, emporter avec eux les ossements de leurs pères ? Pourquoi Noé, le juste par excellence, n'aurait-il pas fait à l'égard d'Adam, ce que tant d'autres, moins religieux que lui, accomplissaient si fidèlement pour des morts beaucoup moins illustres ? Personne qui ne connaisse le soin religieux de ses descendants, pour les ossements de leurs pères. Jacob, mourant en Égypte, recommande à ses fils de porter ses dépouilles dans la Terre promise pour les y ensevelir : il est fidèlement obéi. En fuyant de l'Égypte, les Israélites n'eurent garde d'y laisser les os de Joseph. Comme un trésor de respect et d'amour, ils les emportèrent avec eux et les déposèrent à Sichem, dans le champ acheté par Jacob.
Disons-le en passant : malheur au peuple qui oublie ses morts, qui les relègue loin de lui et que leur souvenir paraît importuner ! La piété envers les morts, le soin de leur sépulture, la visite de leurs tombes, le désir de reposer auprès de ceux qui nous furent unis par les liens du sang ou de l'amitié, sont des sentiments tellement sacrés qu'on ne peut les méconnaître sans donner de soi-même l'idée la plus triste et la plus alarmante. L'ingratitude ne fut jamais le caractère d'un bon cœur : et un mauvais cœur est capable de tout mal, incapable de tout bien.