coeurtendre Admin
Nombre de messages : 13248 Age : 67 Localisation : Trois-Rivières Réputation : 1 Date d'inscription : 16/02/2007
| Sujet: Mgr-Gaume_Bon-Larron/Chapitre 10 - Le Crucifiment/ Sam 23 Avr - 18:23 | |
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Chapitre 10 - Le Crucifiment
Les montagnes choisies pour l'exécution des criminels. -- Dans quel but. - Passages de Quintilien, de Valère Maxime, de Suétone. - Arrivée des condamnés. - Occupations des bourreaux. - Les condamnés couchés par terre et étendus sur leurs croix. - Forme de la croix. - Cinq espèce de croix : la croix simple, la croix fourchue, la croix en sautoir, la croix engagée, la croix élancée. - Quelle fut la croix du bon Larron. - Sentiment de Tertullien, de saint Jérôme, de saint Paulin. - Raisons mystérieuses de ce sentiment. - La forme de la croix perpétuée dans le T, qui commence le canon de la messe. - Passages d'Innocent III, de Nicéphore et de Sandini.Maintenant que le Calvaire nous est connu, abordons la sainte colline et montons jusqu'au sommet, à la suite des trois condamnés qui vont y mourir. D'où vient qu'au lieu d'une plaine ou d'une vallée, on choisit ce lieu élevé pour le crucifiement ? En nous révélant les usages des peuples anciens, la réponse à cette question confirme, par le témoignage de l'histoire profane, le récit de l'histoire sacrée. Outre les raisons mystérieuses qui, entre tous les lieux du monde, firent préférer le Calvaire pour le supplice de l'Homme-Dieu et de Ses compagnons, il en est une toute naturelle et prise de la coutume générale de l'antiquité.
Dans le but de rendre salutaire le spectacle du plus cruel et du plus ignominieux des supplices, les peuples d'autrefois avaient réglé que les croix des malfaiteurs seraient plantées dans les lieux les plus ouverts, les plus fréquentés et de préférence au sommet des montagnes. «Toutes les fois, dit Quintilien, que nous crucifions des criminels, nous choisissons les voies les plus célèbres, afin que le plus grand nombre possible soient témoins de ce spectacle et en soient épouvantés» Valère Maxime raconte ainsi la mort de Polycrate, tyran de Samos. «Inquiet du bonheur constant dont il avait joui, ce prince voulut, pour prévenir la jalousie des dieux, s'imposer un sacrifice en jetant à la mer une pierre précieuse, à laquelle il tenait beaucoup ; mais, quelques jours après, cette pierre fut retrouvée dans le corps d'un poisson. Tel fut son dernier bonheur. Pendant qu'il méditait la conquête de l'Ionie, il fut pris en trahison par Orétès, satrape de Cambyse, qui le fit crucifier sur la cime la plus élevée du mont Mycale, en face même de Samos». Pour les mêmes raisons on donnait aux croix une grande hauteur. De là, cette cruelle ironie de l'empereur Galba, rapportée par Suétone : «Un condamné à mort implorait les lois et faisait valoir son titre de citoyen romain. Comme pour l'exaucer et lui adoucir le supplice, Galba ordonna qu'il fût crucifié sur une croix beaucoup plus haute que les autres, et vêtu d'une robe blanche» (In Galb., c. IX). La hauteur exceptionnelle de la croix devait proclamer sa dignité, et la robe blanche, vêtement du citoyen romain, attirer particulièrement sur lui l'attention des spectateurs.Cependant Jésus, Dimas et leur compagnon arrivent au sommet du Calvaire. Parmi les soldats chargés de l'exécution, les uns creusent les ouvertures destinées à recevoir le pied des croix ; les autres renversent les condamnés et les couchent sur les croix fixées à leurs dos. Mystérieux spectacle ! «Dans le même lieu, dit saint Augustin, il y avait trois croix. Sur l'une, le voleur prédestiné ; sur l'autre, le voleur réprouvé ; et sur celle du milieu, Jésus qui allait sauver l'un et condamner l'autre. Quoi de plus semblable que ces croix ? Quoi de plus dissemblable que ces crucifiés ?»
Comme vient de le dire saint Augustin, les trois croix étaient semblables ; mais quelle était leur forme ? Chez les anciens, la croix, comme instrument de supplice, n'était ni toujours ni partout la même. On en distingue cinq espèces.La croix simple, simplex. C'était un large poteau, sur lequel on fixait le coupable avec des clous, et à qui on faisait prendre l'attitude plus ou moins marquée d'un homme en croix. Lorsque ce genre de crucifiement avait lieu, le poteau était quelquefois si peu élevé, que les bêtes pouvaient atteindre la victime et la déchirer vivante sur son instrument de supplice. Nous en avons deux exemples célèbres, l'un dans l'Écriture, l'autre dans le martyre de sainte Blandine. Sept fils de Saül ayant été livrés aux Gabaonites, ceux-ci les crucifièrent. Aia, leur mère, s'établit au pied des croix, et y resta jour et nuit, pour empêcher les oiseaux de proie et les bêtes carnassières de dévorer ses malheureux enfants (II Reg., XXI, 10). Parlant de l'illustre martyre de Lyon : «Blandine, dit Eusèbe, ayant été attachée à un poteau, elle fut exposée aux bêtes. À ce spectacle, tous ceux qui combattaient avec elle, reprirent de nouvelles forces. Ils se sentaient remplis d'une joie surnaturelle, en la voyant attachée à peu près de la même manière que Jésus-Christ le fut à la croix. Ils tirèrent un heureux présage pour la victoire, de ce que, sous la figure de leur sœur, il leur semblait apercevoir Celui qui avait été crucifié pour eux. Aussi, ils marchèrent à la mort pleins de la douce confiance que quiconque meurt pour la gloire de Jésus-Christ revoit une nouvelle vie dans le sein même du Dieu vivant.
La croix fourchue, appelée furca, parce qu'elle affectait la forme d'une fourche Y. On la trouve souvent employée à l'égard des esclaves. Un auteur païen, Apulée, parle du même genre de croix, comme instrument de supplice pour les coupables ordinaires. La croix decussata, c'est-à-dire en forme de sautoir, et représentant la lettre X. Elle est vulgairement connue sous le nom de croix de saint André, parce qu'elle fut l'instrument sur lequel l'Apôtre de l'Achaïe consomma son martyre.La croix commissa, croix engagée et ayant la figure de notre T majuscule, qui n'est autre que le Tau des Grecs et des anciens Hébreux.La croix immissa, croix élancée. C'est notre croix ordinaire, appelée croix latine. Chacun sait qu'elle se compose d'une hampe ou tige, coupée vers la partie supérieure par deux bras ou croisillons †.De toutes ces croix laquelle servit au supplice de Notre-Seigneur et de ses compagnons ? La croix engagée, répondent sans hésiter Tertullien, saint Jérôme, saint Paulin.La lettre T des Grecs et des Latins, dit le premier, est la figure de la croix».
Le second : «Dans l'ancien alphabet hébraïque, dont se servent encore les Samaritains, la dernière lettre T est la figure de la croix» (Ezech., c. IX, 4). Le troisième : «Notre-Seigneur sans le secours d'innombrables et courageuses lésions, mais avec le mystérieux instrument de la croix, dont la figure est exprimée par la lettre grecque T, et qui représente le nombre trois cents, a triomphé des puissances ennemies». Le témoignage de ces anciens Pères nous semble, sur ce point, préférable au sentiment de plusieurs autres également respectables. Tels sont saint Justin, saint Irénée, saint Augustin qui penchent pour la croix élancée : voici nos raisons. Jusque dans les plus minces détails de sa Passion, Notre-Seigneur accomplissait toutes les figures et toutes les prophéties. Ce n'est qu'après les avoir complètement réalisées qu'Il dit : Tout est consommé. Or, la croix engagée, dont nous parlons, réalise à la lettre deux grandes figures prophétiques. Dans les paroles que nous avons citées, Tertullien fait allusion au passage d'Ezéchiel, où le Seigneur ordonne de marquer de la lettre T, le front de ceux qui devaient être préservés de l'extermination : «Et le Seigneur me dit : "Passe par le milieu de Jérusalem ; et grave le Tau sur le front de tous ceux qui gémissent et qui pleurent sur toutes les abominations de cette ville"» (Ezech., IX, 4). Le Tau est la figure matérielle et mystérieuse de la croix. Gravé sur le front des habitants de Jérusalem, il les sauvait de la mort temporelle. Gravé sur le front des chrétiens, le Tau réel les sauve de la mort éternelle.
Voici un autre mystère. Dans la numération grecque et hébraïque, la lettre T compte pour trois cents. Or, avec trois cents soldats, Gédéon triomphe de la grande armée des Madianites. C'était pendant la nuit. Chaque soldat portait un flambeau, dans un vase de terre. Au signal donné, tous les vases sont brisés ; les flambeaux resplendissent, la trompette sonne ; la terreur s'empare des ennemis qui prennent la fuite en désordre. Au milieu des ténèbres du Calvaire, le voile de l'humanité qui cache la divinité de Notre-Seigneur est déchiré par les tortures de la croix. La divinité éclate en miracles ; et avec le Tau mystérieux, qui vaut trois cents, le vrai Gédéon met en fuite les puissances infernales.La tradition sur la vraie forme de la croix s'est perpétuée dans un détail, connu d'un petit nombre. Dans les anciens missels le T, qui commence le canon, Te igitur clementissime Pater, est accompagné d'une croix peinte sous la lettre même : la figure et la réalité se trouvaient ainsi confondues ensemble. Les éditions modernes remplacent la croix par une gravure représentant Notre-Seigneur en croix et placée invariablement au commencement du canon. Longtemps avant nous, le savant Pamelius a fait cette remarque. Toutefois, nous l'avons vu, quelques Pères donnent à la croix de Notre-Seigneur la forme sous laquelle nous la connaissons. Le Pape Innocent Ill, parlant au quatrième concile de Latran, semble avoir tranché la question. «Le Tau, dit-il,est la dernière lettre de l'alphabet hébraïque. Il exprime la forme de la croix, telle qu'elle était avant que Pilate la surmontât de l'écriteau de Notre-Seigneur».
L'historien Nicéphore n'est pas moins clair. «Lors de l'invention de la sainte Croix, on trouva trois croix séparées, et de plus la tablette blanche sur laquelle Pilate avait écrit en plusieurs langues : Roi des Juifs. Cette tablette, placée au-dessus de la tète de Notre-Seigneur, s'élevait en forme de colonne et proclamait que le crucifié était le Roi des Juifs ?» Enfin, l'auteur de la glose dit en propres termes : «L'écriteau placé sur la croix, en formait le quatrième bras». Cela étant, conclut Sandini, la conciliation se fait sans peine. Les Pères qui donnent à la croix des condamnés du Calvaire la forme du T, la séparent de l'écriteau. Ceux qui lui donnent quatre extrémités, la décrivent avec l'écriteau ; et ils parlent indistinctement de l'une et de l'autre». La croix est le mystère des mystères, le trophée du Fils de Dieu, l'instrument béni de notre rédemption, le signe, plein de terreur pour les uns, d'espérance pour les autres, qui précédera le souverain Juge, lorsqu'au dernier jour Il descendra du ciel, pour rendre à chacun selon ses œuvres, en présence de toutes les nations assemblées : qui pourrait trouver longs les détails destinés à la faire connaître, telle que le monde l'a vue, telle qu'il la reverra ?
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