Chapitre 13 - Causes de la conversion
Cause efficiente : la grâce. - Témoignage de saint Cyrille de Jérusalem, de saint Grégoire le Grand, de Cornelius a Lapide. - Causes instrumentales. - Dans la conversion de saint Matthieu, de Zachée, de saint Pierre, de saint Paul. - Dans la conversion de Dimas : la parole de Notre-Seigneur : Père, pardonnez-leur, la prière de la sainte Vierge, l'ombre de Notre-Seigneur. - Citations des Pères et des Docteurs de l'Église. - Réponse à la difficulté tirée des ténèbres répandues sur le monde. - Notre-Seigneur mourant, le visage tourné vers l'Occident. - Témoignages de la tradition : Sedulius, saint Jean Damascène Bède, Pierre de Natalibus, Spinelli, Molanus. - Raisons mystérieuses de cette position : éloquentes paroles de Luc de Tuy.Lorsque Je serai élevé de terre et placé sur la croix, avait dit le Sauveur, c'est alors que J'attirerai tout à Moi. Oui, tout, mon bon Maître, même les voleurs de grands chemins. Il a tenu parole : Dimas en est la preuve. Mais comment a-t-il été converti ? Dans sa conversion comme dans les autres, il faut distinguer la cause efficiente ou intérieure, et la cause instrumentale ou extérieure. La cause efficiente est celle qui produit directement la conversion. La cause instrumentale est le moyen dont Dieu se sert comme de véhicule, pour faire arriver à son but la cause efficiente.
Cela posé, la cause efficiente de la conversion de Dimas, comme de tous les pécheurs et de toutes les pécheresses, qui ont vécu, qui vivent et qui vivront, c'est la grâce. Comment la définir ? Don gratuit, bienfait immérité, lumière qui éclaire l'esprit, mouvement qui touche le cœur, charme qui attire, force qui brise et qui renverse, principe divin qui, aux inclinations perverses du vieil homme, substituant les nobles affections de l'homme nouveau, crée un nouvel être, animé d'une nouvelle vie, et d'un pécheur fait un pénitent, un juste, un saint : telle est la grâce.Elle a sa source dans l'infinie miséricorde de Dieu, que rien ne lasse, ni ne rebute, ni n'épuise. Là est le secret de toutes les conversions (Jer., XXXI, 3). Si donc nous demandons à Dimas la cause de la sienne, il répondra comme saint Paul: «C'est par la grâce de Dieu, que je suis ce que je suis : Gratia Dei sum id quod sum». En faisant, s'il est permis de le dire, l'autopsie de son âme, tous les Pères de l'Église ont reconnu la présence de cet élément régénérateur. «Quelle puissance, ô Larron, t'a illuminé ? s'écrie saint Cyrille de Jérusalem. Qui t'a appris à adorer cet homme méprisé et, comme toi, attaché à la croix ? O lumière éternelle ! c'est vous qui éclairez les aveugles ! Il est donc juste que tu entendes cette parole : Aie confiance. Non que tes oeuvres soient de nature à te rassurer, mais à tes côtés est le Roi qui donne la grâce».
Saint Grégoire le Grand parle comme saint Cyrille. «Il monte sur la croix, insigne voleur ; voyez ce qu'il est par la grâce, quand il en descend. Soudain la grâce coule sur lui : il la reçoit et la conserve au milieu des tortures». Un savant commentateur demande : Comment le bon Larron fut-il converti ? Il répond : «Intérieurement par un rare et presque miraculeux mouvement de Dieu et par une illumination qui lui révéla l'innocence du Christ, Sa royauté supérieure et Sa souveraine puissance, capable de ressusciter les morts ; en sorte qu'il Le reconnut pour le Messie, Fils de Dieu et Rédempteur du monde». La grâce, telle fut la cause efficiente de la conversion de Dimas : sur ce point, il ne peut y avoir aucun doute.
Mais quelle fut la cause instrumentale ? L'Évangile rapporte plusieurs conversions subites, dont la cause instrumentale nous est connue. Saint Matthieu est un publicain. «Qu'est-ce qu'un publicain ? demande saint Chrysostome. C'est un voleur patenté, pire que les voleurs de grands chemins. Ceux-ci du moins se cachent et rougissent quand ils volent, celuilà le fait avec impudence». Et cependant ce publicain devient tout à coup unévangéliste. Oui, mais il a entendu Jésus qui lui dit en passant : «Suivez-moi». Zachée est un autre publicain, plus voleur peut-être que Matthieu ; et dans un instant il devient un modèle de repentir et de sainteté. Oui, encore ; mais il a entendu Jésus qui lui a dit : «Zachée, hâtez-vous de descendre, il faut que Je logeaujourd'hui dans votre maison». Pierre a renié son maître ; et la négation sacrilège est encore sur ses lèvres que le repentir fait de ses yeux deux fontaines de larmes. Ces larmes sont tellement brûlantes qu'elles creusent deux sillons sur ses joues, et tellement continuelles qu'elles ne cesseront de couler jusqu'à la mort. Il en est ainsi ; mais Jésus a jeté un regard sur l'Apôtre infidèle.Paul est un persécuteur acharné de l'Église naissante, un loup ravissant, altéré du sang des agneaux de Jésus-Christ; et en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, Paul devient un Apôtre. Tout cela est encore vrai ; mais Paul a entendu la voix puissante qui lui dit : «Saul, Saul, pourquoi Me persécutes-tu ?»
Dans toutes ces conversions instantanées, nous voyons la cause instrumentale de la grâce ; mais où la trouver dans celle du bon Larron ? «Il n'avait pas vu de miracles, dit saint Léon ; alors avait cessé la guérison des malades, l'illumination des aveugles, la résurrection des morts ; il ne connaissait pas les prodiges qui allaient éclater. Et cependant il proclame Seigneur et Roi son compagnon de supplice». Quel fut donc pour lui le véhicule extérieur de la grâce efficiente ? Voici la réponse des saints docteurs. Dimas voyait avec étonnement la patience de Jésus, au milieu de Ses souffrances et des outrages dont Il était de toutes part abreuvé. L'étonnement de Dimas fut à son comble, lorsqu'il entendit Jésus prier pour Ses bourreaux. «Cette divine prière, dit le très savant Tite, évêque de Bosra, fut probablement la cause instrumentale de sa conversion». Le cardinal saint Pierre Damien, évêque d'Ostie, la trouve dans la prière de la sainte Vierge. Cette divine Mère commença, au pied de la croix, son office d'avocate des pécheurs, et surtout des pécheurs sur le bord de l'enfer. Placée à la droite de son divin Fils, elle était entre Lui et le bon Larron, entre le juge et le coupable, entre le Rédempteur et l'esclave. Mère de la miséricorde, elle demande grâce, et elle l'obtient. Le Père Raynaud partage le même sentiment, et l'exprime dans les mêmes termes. Le célèbre Jean de Carthagène explique et la prière de la sainte Vierge et la miséricorde de Notre-Seigneur par la rencontre du désert. «Jésus et Marie, se souvenant de la conduite que Dimas avait tenue à leur égard, lorsqu'ils fuyaient en Égypte, voulurent le récompenser, en l'arrêtant sur le chemin de l'enfer et en le mettant sur la route du ciel. Marie demanda pour lui la grâce, et Jésus l'accorda, avec une magnificence digne de Celui qui ne laisse pas sans récompense un simple verre d'eau froide».
D'autres, parmi lesquels nous citerons seulement le savant Spinelli, ont trouvé la cause extérieure de la conversion de Dimas, dans l'influence de l'ombre de Notre-Seigneur projetée sur lui, au moment où le Sauveur, élevé sur la croix, venait de prononcer la prière du pardon : «Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font». Le saint Paul des temps modernes, saint Vincent Ferrier, rapporte leur sentiment et ne le désapprouve pas. «On demande, dit-il, pourquoi des deux larrons crucifiés avec Notre-Seigneur l'un se convertit et l'autre non ? Quelques-uns en trouvent la raison dans l'ombre du bras de Notre-Seigneur qui le toucha. Ils appuient leur explication par un argument a fortiori, pris de l'ombre de saint Pierre qui guérissait les malades, comme on le voit au chapitre Vè des Actes des Apôtres.«Il n'est donc pas étonnant, que l'ombre de Notre-Seigneur ait guéri l'âme du bon Larron». Cornelius a Lapide fait le même raisonnement pour appuyer les paroles de saint Vincent Ferrier. Ne savons-nous pas, d'ailleurs, que l'ombre de la croix seule guérissait les malades ?. Cette opinion, que rend très respectable l'autorité de ses défenseurs, suppose que les ténèbres ne commencèrent pas immédiatement après le crucifiement de l'adorable Victime, et que, sur la croix, le Sauveur avait le visage tourné vers l'Occident. Quant aux ténèbres, l'Évangile dit qu'elles se répandirent sur la terre depuis la sixième heure, ab hora sexta ; mais il ne dit pas que ce fut au commencement précis de la sixième heure. Rien donc dans le texte sacré n'empêche d'admettre un léger intervalle de lumière, entre le crucifiement de Notre-Seigneur et la conversion du bon Larron. Pendant cet intervalle l'ombre du Rédempteur se projeta sur Dimas ; et, avec la rapidité qui convient à Celui qui d'un mot tira le monde du néant, cette ombre salutaire créa un nouvel homme, en appelant le bon Larron du néant du péché à la vie de la grâce.
Que, sur la croix, Notre-Seigneur ait eu le visage tourné vers l'Occident, c'est une tradition trois fois vénérable par son antiquité, par les témoignages qui la confirment et par les mystères qui s'y rattachent. Déjà au Vè siècle, Sedulius la chantait dans son beau poème sur la vie du Sauveur. Un des témoins les plus graves de cette tradition, et en même temps l'interprète le plus explicite des mystères qui s'y rapportent, est le grand théologien espagnol, Luc de Tuy. «Comme le prouvent, dit-il, les vers de Sedulius, lorsque NotreSeigneur mourant imprima le signe de la croix sur le monde, Il avait la tête à l'Orient, les pieds à l'Occident, la main gauche au Midi, et la droite au Nord. Cette position révèle la dignité de l'hémisphère occidental.Sur la croix le Rédempteur du monde avait le visage tourné vers l'Occident ; vers l'Occident Il inclina la tête en mourant. Prêtre éternel Il consacra, par l'immolation de Son corps et par l'effusion de Son sang, l'univers entier, mais particulièrement les régions de l'Occident ; car c'est là qu'Il voulait établir, dans la plénitude de la puissance, Son Vicaire chargé de paître les brebis et les agneaux.«Satan semble avoir prévu l'établissement de cette inexplicable dignité et de cette puissance ennemie de la sienne. Précipité des hauteurs de l'aquilon, où il voulut fixer son trône et se rendre semblable au Très-Haut, il ne se tint pas pour vaincu. Rome, bâtie dans les régions de l'Occident, devint sa capitale. Il n'est ni crimes ni superstitions abominables dont il ne souillât cette ville, qui fut l'instrument de sa tyrannie sur le monde entier. Notre-Seigneur qui était monté sur la croix pour combattre le prince des ténèbres, et qui avait choisi Rome pour Sa ville de prédilection, inclina vers elle Sa tète mourante, pour montrer que Son dernier soupir allait chasser de sa forteresse le Roi et le Dieu de ce monde, à qui Il ravirait les armes et les dépouilles dont il se glorifiait, et dont les autels renversés deviendraient le piédestal de Son trône.
«C'est encore vers le même climat que fut ouvert le côté du Sauveur, et :que coula le sang et l'eau : l'eau destinée à purifier Rome, et le monde souillé par Rome ; le sang destiné à réchauffer Rome et à faire de cette cité, reine des cités, le foyer permanent de la science divine et de la charité. Pour manifester Son dessein et achever Son œuvre, le divin Rédempteur appellera de toutes les parties du monde des consécrateurs, qui viendront purifier de leur sang la cité du grand Roi.«La Judée enverra Pierre, le chef du collège apostolique ; la Cilicie, Paul l'Apôtre des nations ; l'Espagne, le lévite Laurent ; toutes les autres régions du globe, d'innombrables martyrs. Le prince des démons avait accumulé dans Rome et fait servir à son culte sacrilège tout ce qu'il y avait de meilleur sur la terre : les pierres précieuses, les marbres, l'argent et l'or, dépouilles de l'humanité soumise à son empire. Plus fort que lui, le Fils de Dieu s'empara de ses dépouilles et les distribua à ses Apôtres et à ses Martyrs, en sorte que tout ce qui avait servi au culte des démons sert à la gloire de l'Église. Satan thésaurisait, mais il ne savait pas pour qui il thésaurisait».
Ajoutons que la position de Notre-Seigneur sur la croix, tourné vers l'Occident, est une des raisons pour lesquelles les premiers chrétiens priaient tournésvers l'Orient. Telles sont, au témoignage des saints docteurs,les causes
instrumentales ou extérieures de la conversion du bon Larron. Toutes ont-elles concouru à cet étonnant miracle ? Une seule l'a-t'elle opéré ? Quelle que soit la réponse, il reste à admirer la sagesse et la puissance de Celui à qui tous les moyens sont bons pour arriver à ses fins.