Chapitre 14 - Magnificences de la conversion
Magnificences du côté de Dieu. - Changement radical et subit qui s'opère dans Dimas. - La conversion d'un pécheur, miracle plus grand que la création du ciel et de la terre : doctrine de saint Thomas. - La conversion de Dimas comparée à celle de Madeleine, à celle de saint Paul, à celle de saint Pierre. - Plus étonnante que toutes les autres. - Sentiment des Pères. Le 2 août 1707, Naples fut témoin d'un étrange spectacle. Dans la matinée, le Vésuve commença à vomir d'épaisses colonnes de cendres et de fumée. Sans hyperbole ni exagération, le soleil en fut obscurci, à tel point que vers midi Naples se trouva plongée dans une nuit, noire comme une nuit d'hiver. L'horreur des ténèbres était augmentée par le bruit retentissant des pierres énormes, vomies par le cratère et qui retombaient au loin, précédées et suivies d'éclairs éblouissants. Les habitants éperdus crurent que la dernière heure de leur cité était venue. Les uns craignaient, non sans raison, que ces masses de cendres brûlantes, tombant sur des matières inflammables, n'occasionnassent un immense incendie, dont la gracieuse, l'opulente Parthénope serait l'inévitable victime ; les autres que les campagnes, brûlées par les scories du volcan, ne demeurassent désormais stériles. Personne ne songeait à ce qui devait bientôt arriver.
À la vue du péril, la foule s'était portée au tombeau de saint Janvier. Grâce à la protection de ce grand patron des Napolitains, en quelques instants tout fut changé. Les nuées de cendres s'arrêtèrent, les ténèbres disparurent, et le soleil se montra dans tout l'éclat de ses feux, sous un ciel pur comme une glace. Ce changement radical et soudain, qui étonne quelquefois dans l'ordre naturel, les annales de la religion nous le montrent, plus merveilleux encore, dans l'ordre supérieur de la grâce. À une jeunesse souillée de débauches, on a vu succéder un âge mûr orné de vertus héroïques. C'est une merveille ; car il est écrit : «L'adolescent marchera dans sa voie et ne s'en écartera pas même lorsqu'il sera vieillard» (Prov., XXII, 6). Avec un éclat incomparable, le bon Larron va nous offrir le spectacle d'une pareille métamorphose. Jusqu'ici un voile noir, épais, taché de sang, recouvre la personne et la vie de Dimas.
À nos yeux, comme aux yeux de ses contemporains, il nous est apparu non seulement comme un brigand ordinaire, mais comme un brigand d'une espèce supérieure : scélérat dont la vie n'est qu'un long tissu de vols et d'assassinats, tigre altéré de sang, terreur du pays, honte de l'humanité, crucifié aux applaudissements de tout le peuple. «Qu'y eut-il jamais, dit saint Chrysostome, de plus misérable que le Larron ? Et en un clin d'œil, qu'y eut-il jamais de plus heureux ? Il avait commis des milliers de meurtres, il était condamné à mort ; autant de témoins de son supplice, autant d'accusateurs. Le temps allait finir, et sa vie s'était passée dans le crime ; mais parce que durant un instant il aima Dieu comme il faut, un indicible bonheur devint son partage. Que s'est-il passé ? Un son de cette voix intérieure qui brise les cèdres, qui ébranle les montagnes, a retenti au cœur de Dimas. Et ce cœur de pierre est devenu un cœur de cire ; ce cœur de brute, un cœur d'homme, ce cœur de scélérat, un cœur de saint. Un rayon du soleil de justice a frappé son visage, et ce visage s'est irradié. Son affreuse laideur est devenue beauté surhumaine, grâce angélique ; et sa bouche, encore toute souillée de blasphèmes, distille des paroles douces comme le miel, parfumées comme l'humble violette.
Un loup-cervier changé en agneau ; un blasphémateur changé en évangéliste ; un scélérat changé en saint, et en saint canonisé tout vivant : Telle est l'incomparable métamorphose du Calvaire. Et dans nos classes on ne nous en parle jamais ! et on nous fait suer pendant des mois entiers à expliquer les métamorphoses, souvent honteuses et toujours ridicules, des dieux de la Fable, c'est-à-dire des démons ! En attendant que le sens commun soit revenu sur la terre, rappelons quelques-unes des magnificences de la conversion de Dimas. Elle fut magnifique du côté de Dieu ; magnifique du côté de l'homme. Magnifique du côté de Dieu. Jésus était élevé en croix. Un peuple d'insulteurs Le traitait comme le dernier des hommes. Dans l'ordre de la nature, des miracles éclatants allaient révéler Sa divinité. Le soleil obscurci, d'épaisses ténèbres tombées sur le monde et la nuit se faisant en plein midi, des rochers fendus jusque dans des profondeurs inconnues, le voile du temple déchiré et laissant voir les mystères toujours dérobés aux profanes, des tombeaux entr'ouverts et prêts à rendre à la vie les victimes de la mort : tant de miracles devaient arracher au centurion le cri de la foi : Cet homme était vraiment le Fils de Dieu. Afin de manifester la plénitude de la puissance du divin Rédempteur, il fallait, dans l'ordre moral, quelque phénomène non moins surprenant. Avec cette sagesse qui va toujours droit à son but, Jésus choisit le plus difficile, la conversion subite, éclatante, héroïque d'un pécheur : et quel pécheur !
Les Pères de l'Église ont compris le fait providentiel, et l'ont dignement célébré. «Sur sa croix, dit saint Chrysostome, le Seigneur opéra deux éclatants miracles : Il ouvrit le ciel fermé au genre humain depuis quatre mille ans, et Il y introduisit un larron. Aujourd'hui même, lui dit-Il, vous serez avec Moi dans le Paradis. Que dites-vous ? Vous êtes crucifié, Vous êtes cloué à un gibet, et Vous promettez le Paradis ! Oui, Je le promets, afin de faire éclater la puissance infinie dont Je jouis sur la croix. J'ai voulu opérer ce miracle, monument incomparable de Ma puissance, non pendant que Je ressuscitais les morts, que Je commandais aux flots irrités, que Je mettais les démons en fuite, mais crucifié, percé de clous, abreuvé d'outrages, couvert de crachats. C'est alors que J'ai voulu changer l'âme du Larron. Ainsi, nous voyons Sa puissance éclater sur le monde matériel et sur le monde moral. Il fait trembler la terre, Il fend les rochers, et Il transforme l'âme du Larron, plus dure que la pierre». Si, comme l'enseigne saint Thomas, la conversion d'un impie est une œuvre plus grande que la création du ciel et de la terre (1, 2, q. 113, art. 9, Cor.), il faut ajouter que, parmi toutes les conversions, aucune n'égale celle de Dimas. Sans doute elle fut un prodigieux coup de grâce, la conversion de Marie-Madeleine, qui, en peu d'instants, de pécheresse publique, devint une des plus nobles âmes dont l'histoire ait conservé le souvenir.
C'est à tel point que le pape saint Grégoire le Grand n'hésite pas à dire : «Il est certain que Dieu a placé dans le ciel de l'Église deux grands luminaires, deux Maries : Marie, la Mère du Sauveur ; et Marie, sœur de Lazare. La première, luminaire majeur, afin de présider au jour, c'est-à-dire afin d'être le modèle et la protectrice des âmes innocentes ; la seconde, luminaire mineure, placé aux pieds de Marie, afin d'éclairer pendant la nuit et d'être le modèle et la protectrice des âmes pénitentes». La conversion de la jeune princesse de Magdala est-elle plus miraculeuse que celle du bon Larron ? Avec le Père Orilia, nous répondons intrépidement que non (p. 96.). Avant de se convertir, Madeleine avait vu des miracles, Dimas n'en avait point vu. Tel est l'enseignement de la tradition. Un des plus éclatants miracles de Notre-Seigneur fut la résurrection du fils de la veuve de Naïm. Avec une foule d'autres, Marie-Madeleine en fut témoin. Le malheureux jeune homme était mort dans le péché. Il avait vu les supplices de l'enfer. Rendu à la vie, il devint un prédicateur qui jeta l'épouvante dans l'âme de tous ceux qui l'entendirent. Sa mort fut pour plusieurs le principe de la vie éternelle. De ce nombre fut Marie-Madeleine, que la crainte et la confiance conduisirent aux pieds du Sauveur. Dans sa miséricordieuse sagesse, le bon Pasteur voulut se trouver sur le chemin de la brebis égarée. Immédiatement après la résurrection du jeune homme, il se dirigea vers la maison de Simon le lépreux, où Marie, frappée de la nouveauté du miracle, résolut de se présenter au thaumaturge et de faire ce qu'il lui dirait.
Trouvez-vous rien de semblable dans la conversion du bon Larron ? Où sont les miracles qui lui font confesser ses péchés et qui, de l'abîme du vice, l'élèvent en un clin d'œil à la plus haute perfection ? Jusqu'alors inconnu pour lui, Notre-Seigneur ne lui semble que l'opprobre de son peuple, un vermisseau, un malfaiteur insigne : et c'est dans cet état qu'il Le proclame son Dieu et son roi ! C'est sur son gibet d'ignominie qu'il Le prie, qu'il L'adore, qu'il croit en Lui : et cela quand tous L'insultent ou L'abandonnent ! Admirable est la conversion de Marie-Madeleine, non moins admirable est celle de saint Paul ; mais, nous continuons de le dire, plus admirable est la conversion de Dimas. Je vois, sur le chemin de Damas, le jeune persécuteur marchant à la tête de ses satellites. Poussé par sa haine de pharisien contre Jésus de Nazareth, il ne respire que le sang et le meurtre. Malheur aux brebis du Sauveur qui tomberont sous la griffe de ce loup ravissant ! Le ciel n'est pas plus éloigné de la terre que Saul ne l'est du christianisme. Pendant qu'il rumine ses homicides projets, une voix du ciel se fait entendre. Rapide comme l'éclair, puissante comme la foudre, elle renverse le futur bourreau et le frappe d'une telle frayeur qu'il s'écrie tout éperdu : «Seigneur, que voulez Vous que je fasse ?» La même voix daigne lui répondre ; et il est conduit auprès d'Ananie qui achève de lui révéler les conseils de Dieu sur lui. Le loup est changé en agneau ; de persécuteur, Saul devient un Apôtre. Voilà le miracle de sa conversion. Il est si éclatant, qu'il a servi de base à une démonstration irréfutable de la divinité de Notre-Seigneur et du christianisme.
La foudroyante action de la grâce ne se fait-elle pas mieux sentir dans la conversion du bon Larron ? Saul a entendu une voix du ciel, qui proclame la divinité de Celui qu'il persécute. Quelle voix avait entendu Dimas ? Pas d'autre, sinon la voix de la Synagogue qui blasphème et qui outrage son compagnon de supplice. Quelle lumière éblouissante avait frappé de cécité ses yeux corporels, pour dessiller les yeux de son âme ? Aucune. Quel Ananie avait eu Dimas pour s'affermir dans la foi ? Aucun. Dites maintenant quel est le plus miraculeux : se soumettre à un Jésus, qui apparaît dans le ciel et qui fait entendre cette voix divine, dont la puissance renverse les cèdres et ébranle les montagnes, ou reconnaître humblement pour Dieu, un Jésus cloué au gibet, moqué, couvert de crachats, et au moment d'expirer comme un simple mortel ? Dans le premier cas, prodige de la toute-puissance, capable de convertir le pécheur le plus endurci ; dans le second, prodige de faiblesse et d'humiliation, plus capable, en apparence, d'éteindre la foi que de la donner.
Parlerons-nous de la conversion de saint Pierre ? Elle fut subite, elle fut sincère. Mais Pierre avait été trois ans à l'école de Notre-Seigneur, il avait été témoin de Ses miracles ; il avait hautement confessé Sa divinité ; il venait de Le recevoir dans la communion ; il était choisi pour être Son vicaire. Puis, il avait à peine failli, que le bon Maître daignait jeter un de Ses tendres regards sur l'apôtre infidèle ; et quelle éloquence dans ce regard ! Il disait : «Ah ! Pierre, c'est ainsi que vous payez Mon amour, que vous reconnaissez Mes bienfaits ! C'est ainsi que vous tenez la promesse que vous M'avez faite, de mourir plutôt que de M'abandonner ! Lorsque nous étions sur le Thabor, vous ne vouliez plus en descendre, afin de demeurer avec Moi et de partager ma félicité. Maintenant que vous Me voyez dans les angoisses de Ma Passion, vous jurez que vous ne Me connaissez pas !» Qui aurait résisté à de pareils reproches de la part d'un maître, d'un ami, d'un père comme Notre-Seigneur ?
Comparons maintenant Dimas à saint Pierre, la conversion de l'un à la conversion de l'autre. Le bon Larron avait-il été trois ans à l'école de Notre-Seigneur ? Non. Vingt fois témoin de Ses miracles ? Non. Prédicateur officiel de Sa divinité ? Non. Admis à Sa table et nourri de Sa chair adorable ? Non. Et puis, supposé qu'il dût reconnaître pour Dieu son compagnon de supplice, il n'était pas forcé de proclamer hautement Sa divinité et de s'exposer ainsi à un redoublement de tortures. À cela personne ne l'obligeait. Sans vouloir rien ôter à la parfaite conversion du prince des Apôtres, disons cependant que saint Pierre ne confessa pas son divin Maître en présence des serviteurs et des servantes du grand prêtre. Il ne rétracta pas son reniement ; et, en témoignage de son repentir, il ne suivit pas Notre-Seigneur au Calvaire. Dimas, au contraire, confesse Jésus sur la croix, Le déclare innocent, Le défend contre ceux qui L'outragent, Lui demande pardon de ses fautes et, en face de tous Ses ennemis, le proclame son Seigneur et son Dieu. Si on veut voir dans toute sa magnificence l'action toute-puissante de la miséricorde divine, il faut considérer encore la conversion de Dimas sous le double rapport de la difficulté et de la promptitude. Les illustres convertis que nous venons de citer, n'avaient pas été plongés dans le mal dès leur enfance. Ils avaient reçu des principes de mœurs, et durant un temps plus ou moins long, ils en avaient fait, d'une manière plus ou moins constante, la règle de leur conduite. Ces jours sans souillure étaient comme autant de pierres d'attente d'un nouvel édifice, et autant d'obstacles de moins à l'action future de la grâce. Rien de pareil dans le bon Larron. Né parmi les voleurs, en s'éveillant à la raison il n'avait connu que le vol, le meurtre et le brigandage. Nul rayon de lumière n'était venu percer les ténèbres de sa grossière intelligence. Dans sa vie d'homme, pas un jour sans souillure, et peut-être sans souillure sanglante. C'est par milliers que saint Chrysostome compte les assassinats dont il s'était rendu coupable. Entreprendre de convertir un être pareil, autant vouloir changer une brute en homme, faire respirer un morceau de granit, ou, comme dit l'Écriture, rendre blanche la peau d'un Éthiopien. «Prenez, dit le Père Orilia, toutes les eaux de l'Océan, et essayez de faire disparaître la couleur noire du nègre, ou les mouchetures de la peau du léopard : vous les userez toutes avant d'en venir à bout. De même, l'homme qui s'est fait du vice comme une seconde nature ; qui, à force de se plonger dans le mal, a empêché le sens moral de se développer en lui, ou l'a criminellement étouffé, cet homme ne peut être changé que par un miracle de la grâce, agissant dans la plénitude de sa force : tel était Dimas».
Eh bien ! cet être plongé au fond de l'abîme du mal, s'élève en un clin d'œil au sommet de la perfection. Dans le temps de le dire, il est transformé, purifié de toute tache, orné de toute vertu ; à tel point qu'il n'y a plus pour lui, comme pour beaucoup d'autres saints, ni pénitence à faire ni purgatoire à craindre. Il est bon à entrer immédiatement en Paradis; bon à être canonisé : et il l'est. «La miséricorde divine a tout fait, écrit saint Chrysostome. Qu'avait dit ce voleur ? Qu'avait-il fait ? Avait-il jeûné ? avait-il pleuré ? s'était-il macéré ? avait-il fait une longue pénitence ? Nullement. Mais sur la croix même, après sa sentence de mort, il obtient le salut. Voyez la promptitude ! de la croix au ciel, du supplice à la gloire». Il est donc permis de conclure que, dans la conversion du bon Larron, la grâce de Dieu éclate avec une magnificence incomparable. C'est dans l'ordre moral, le fiat créateur, le chef-d'œuvre de la droite du Tout-Puissant, le consolant miracle devant lequel semblent pâlir tous les autres : Hujus latronis pænitentia non extat æqualis. Ajoutons, en passant, que la miséricorde de Dieu est toujours la même. Aujourd'hui encore, elle agit, sinon avec le même éclat, du moins avec la même promptitude et la même efficacité. L'eau du baptême coule sur la tête d'un enfant. Au simple contact de cette eau, vivifiée par la bénédiction divine, l'âme de l'enfant est instantanément purifiée. Le ciel lui est ouvert, sa place est fixée parmi les anges, pour toute l'éternité. Autre miracle. Lorsque, dans le tribunal de la miséricorde, la parole du prêtre tombe sur une âme souillée de crimes, à l'instant même cette âme est transformée. Tous les liens qui l'enchaînent sont brisés ; l'enfer est fermé sous ses pieds ; et, si la contrition est parfaite, elle peut immédiatement entrer dans le ciel. À ces traits, qui remplissent le cœur d'amour et de confiance, l'esprit reconnaît avec bonheur l'œuvre de Dieu : simplicité dans les moyens, promptitude et fécondité dans les effets.