Chapitre 21 - Imitateurs du bon Larron
La conversion du bon Larron inspire la confiance. - Condamne la présomption. - Mot de saint. Augustin. - Éloquentes paroles de l'évêque Eusèbe. - Encouragements donnés par saint Ambroise et par saint Augustin. -
Exemples de grands pécheurs subitement convertis. - Le jeune voleur de l'Apôtre saint Jean. - Son histoire. Après la réforme du Bréviaire Romain, l'office du bon Larron fut demandé, d'abord, par l'Ordre européen, si célèbre dans l'histoire de la charité catholique, de Notre-Dame de la Merci, pour la rédemption des captifs. Quel meilleur patron, quel plus parfait modèle pour tant de malheureux enchaînés dans les bagnes de Tunis et d'Alger ! La demande fut accordée par Sixte V. Vint ensuite, dans le dernier siècle, la Congrégation italienne des pieux Ouvriers. En reconnaissance des conversions éclatantes et nombreuses, obtenues dans les missions par l'intercession de saint Dimas, les fervents apôtres demandèrent, en 1724, l'autorisation de faire l'office de ce grand avocat des pécheurs. Rome accueillit leur supplice ; et le bon Larron devint le protecteur spécial de leur ordre. La même faveur a été accordée aux Théatins, dignes enfants de saint Gaétan de Tiène, aux serviteurs de Marie et aux Oblats de Marseille, héroïques missionnaires des sauvages de l'Amérique septentrionale.
L'admiration n'est donc pas le seul sentiment que doive nous inspirer la conversion du bon Larron : une douce et ferme confiance en la miséricorde infinie doit en être le fruit. Fondée sur l'exemple de nombreuses conversions, cette confiance nous semble dans les vœux de l'Église. Si ce n'était pour l'inspirer à ses enfants, pécheurs ou non, pourquoi chanterait-elle aux funérailles : «En exauçant le larron, vous m'avez donné confiance : Qui latronem exaudisti, mihi quoque spem dedisti ? Sans doute, il serait souverainement imprudent le pécheur qui, s'autorisant de l'exemple de Dimas, renverrait sa conversion à l'article de la mort. D'une part, sait-il s'il aura le temps de se reconnaître ? «Celui, dit saint Augustin, qui a promis le pardon au pécheur, ne lui a pas promis le lendemain : Qui veniam promisit, crastinum non promisit». D'autre part, la conversion du bon Larron est un miracle de premier ordre. Mais le miracle est un fait exceptionnel et le gouvernement de la Providence ne se base point sur des exceptions. A personne Dieu ne promet ni ne doit de miracle ; moins encore à celui qui compterait sur une pareille faveur, pour continuer de l'offenser.
De là, cette autre parole de saint Augustin : «Des deux voleurs un se convertit, afin que vous ne désespériez pas ; mais il est seul, afin que vous ne présumiez pas : Unus est ne desperes, solus est ne confidas». Ce n'est donc point, à Dieu ne plaise, pour endormir, dans une sécurité funeste, les innombrables pécheurs de nos jours, que nous allons citer la conversion subite d'un certain nombre de grands coupables. Notre but est de montrer qu'il n'est jamais trop tard pour revenir à Dieu ; que Sa miséricorde s'étend à tous les siècles, inépuisable, infinie ; qu'il n'y a pas de vie si criminelle qui ne puisse finir par une mort sainte ; que nul pécheur, fût-il au moment d'expirer, ne doit s'abandonner au désespoir ; enfin, que l'exemple du larron converti sur la croix a été laissé comme l'ancre de salut auxpécheurs mourants et prêts à tomber dans l'abîme de l'impénitence finale. Telle est aussi la pensée des Pères de l'Église.
Par les imitateurs du bon Larron, nous entendons les grands pécheurs qui l'imitèrent par la promptitude et la sincérité de leur conversion. «Dieu, dit le grand évêque Eusèbe, était en Notre-Seigneur Jésus-Christ se réconciliant le monde, c'est-à-dire que la divinité opérait dans un corps mortel. L'humanité apparaissait dans la fragilité de Sa nature. La divinité se révélait dans la majesté de Sa puissance. Homme, Il meurt et descend aux enfers ; Dieu, Il en revient triomphant. Afin de sauver les coupables, Il se laisse placer au milieu des coupables : l'un est à Sa droite, l'autre à Sa gauche. Par les souffrances de Sa croix, le Juste mérite la gloire à un des voleurs. Mais, si nous y regardons de près, nous voyons qu'une pareille faveur ne lui a pas été accordée pour lui seul. En relâchant un si grand coupable, en remettant à un pareil débiteur l'immense somme de ses dettes, le Dieu rédempteur a écrit la sécurité du genre humain. «Il veut que le pardon d'un seul désespéré soit la consolation et l'espérance de tout le peuple, et qu'un don personnel devienne un bienfait public. C'est pourquoi il faut croire, sans hésiter, que, si la conversion du bon Larron fut la gloire de sa foi, elle est aussi pour nous un gage d'espérance et une source de profits. L'immense bonté de notre Dieu accorde libéralement ce qu'il sait devoir être utile à tous. Si donc, plein de confiance dans une telle miséricorde, quelqu'un d'entre nous condamne sa vie passée, par une vie meilleure, et, s'il met toute sa confiance en Jésus crucifié, lui aussi devient un bon larron qui s'ouvre le ciel». Écrivant à Théodore, si fameux par sa chute : «Telle est, lui dit saint Chrysostome, la clémence de Dieu pour les hommes, qu'Il ne repousse jamais une pénitence sincère. Le pécheur fut-il tombé au fond de l'abîme des iniquités, s'il veut revenir à la vertu, Il le reçoit, Il l'embrasse, et n'omet rien pour le rétablir dans son premier état. Autre preuve encore plus grande de Sa miséricordieuse bonté. Si le pécheur n'a pas fait une entière pénitence, Il n'en dédaigne pas une courte et légère, et la récompense magnifiquement. Voyez le Larron : met-il beaucoup de temps pour obtenir le Paradis ?
L'instant de prononcer un seul mot lui suffit ; et les souillures de toute sa vie sont effacées, et avant les Apôtres eux-mêmes il est admis dans le ciel». C'est également pour montrer les richesses de Sa miséricorde, encourager notre faiblesse et rassurer notre confiance, que Dieu a permis, qu'Il permet encore les chutes profondes de plusieurs grands saints. Ce courage salutaire, saint Augustin l'inspirait aux pécheurs de tous les temps, de tous les pays et de toutes les classes. «David, dit le grand évêque, un prophète, un roi selon le cœur de Dieu, l'aïeul du Messie, a commis deux grands crimes. Voilà ce que les hommes doivent éviter. Si eux-mêmes sont tombés, qu'ils écoutent ce qu'ils doivent imiter. Beaucoup veulent tomber avec David et ne veulent pas se relever avec David. Son exemple ne doit pas vous apprendre à tomber, mais à vous relever si vous êtes tombé. Que la joie des faibles ne soit pas la chute des forts, mais que la chute des forts soit la crainte des faibles. C'est pour cela que l'exemple de David a été écrit ; pour cela, qu'il est si souvent lu et chanté dans l'Église. «Que les pécheurs se gardent donc bien de chercher une autorisation, dans l'exemple du saint roi et de se dire : Si David l'a fait, pourquoi ne le ferais-je pas ?
Se proposer de commettre le mal, parce que David l'a commis, c'est être plus coupable que David. Pour pécher, David ne s'était pas proposé de modèle ; il tombe entraîné par la passion, non encouragé par l'exemple d'un saint. Vous, pour pécher, vous vous mettez un saint devant les yeux et vous n'imitez pas sa sainteté, mais sa ruine. Vous aimez, dans David, ce que David hait en lui. Vous lisez, vous entendez l'Écriture sainte pour vous encourager à faire ce qui déplaît à Dieu : David n'a pas fait cela. Il a été repris par le prophète, il n'est pas tombé à cause du prophète. «Si, parmi ceux qui m'écoutent, il en est un qui soit déjà tombé, il doit sans doute considérer la profondeur de sa blessure, mais il ne doit pas désespérer de la puissance du médecin. Le péché avec le désespoir, c'est la mort certaine. Que nul donc ne dise : J'ai péché, je serai damné.
Dieu ne pardonne pas de pareils crimes. Pourquoi m'abstiendrais-je de pécher ? Je vais donc me livrer à toutes mes passions. N'ayant plus d'espoir d'être sauvé, je veux du moins jouir de ce que je vois, puisque je ne puis posséder ce que je crois. «L'exemple de David répond à un pareil raisonnement. Comme il rend vigilants ceux qui ne sont pas tombés, ainsi il empêche de se désespérer ceux qui sont tombés. O vous ! qui avez péché, et qui par désespoir de votre salut, ne voulez pas faire pénitence de vos péchés, écoutez David gémissant. A vous Nathan le prophète n'est pas envoyé, c'est David lui-même qui vient vous encourager et vous servir de modèle. Vous l'entendez crier, criez avec lui ; gémir, gémissez avec lui ; pleurer, mêlez vos larmes aux siennes ; vous le voyez converti, prenez part à son bonheur. S'il n'a pu vous empêcher de pécher, qu'il vous donne l'espérance de vous relever».
À l'éloquence des paroles, il est temps de joindre l'éloquence des faits. Nous les choisirons parmi tous les genres de pécheurs, pour montrer que la miséricorde s'étend à tout et à tous, mais de préférence parmi les brigands et les voleurs de grands chemins. D'une part, nous écrivons l'histoire du plus insigne de tous, et nous la dédions à un grand voleur. D'autre part, il nous semble que c'est dans cette classe de malheureux que le bon Larron doit chercher ses clients privilégiés. Il est naturel, en effet, que les saints portent un intérêt particulier à ceux qu'ils voient sujets aux mêmes maladies morales dont ils furent les victimes, et qu'ils jouissent d'une puissance spéciale pour les soulager. Le premier qui se présente, est le chef de bande converti par saint Jean. Comme celle de Dimas, son histoire montre avec quelle rapidité agit la miséricorde divine. Revenu à Éphèse, après son exil dans l'île de Pathmos, le Disciple bienaimé visitait, malgré son grand âge, les différentes Églises d'Asie, dont il était le fondateur et le père. Comme il était venu dans une ville, pour régler quelques points de discipline et apaiser quelques différends, il aperçut un beau jeune homme, plein de vigueur et de vivacité. Aussitôt il se tourne vers l'évêque et lui dit : «Prenez soin de ce jeune homme. Veillez sur lui avec la plus grande sollicitude. Je vous le confie en présence de l'Église et de Jésus-Christ». L'évêque le prend sous sa responsabilité et promet de faire tout ce que l'Apôtre lui demande. Saint Jean retourne à Éphèse.
L'évêque prend chez lui le jeune homme ; il l'instruit, le surveille, l'environne de soins paternels ; enfin, il l'admet au baptême. Plus tard, il le confirme ; et, le croyant désormais assez fort, il se relâche un peu de sa sollicitude. Le jeune homme en profite pour vivre avec plus de liberté. Bientôt il se lie avec quelques jeunes gens 48 de son âge, oisifs, paresseux et adonnés à toute sorte de vices. Ses nouveaux camarades l'invitent à des festins ; et, malgré lui, le font sortir la nuit pour le rendre complice de leurs vols et l'encourager à commettre de plus grands crimes. Peu à peu il s'y habitue. Plein de courage et de confiance en ses forces, comme le cheval qui a pris le mors aux dents, il se précipite dans l'abîme de tous les vices. Désespérant de son salut, il ne compte pour rien les crimes ordinaires. D'accord avec ses compagnons, il songe à être un héros du crime. Il les réunit et forme une bande de voleurs, dont il devient le chef par son audace, son habileté et sa cruauté. Sur ces entrefaites, saint Jean est rappelé, par différentes affaires, dans la ville où il avait connu ce jeune homme. S'adressant à l'évêque : «Rendez-moi, lui dit-il, le dépôt que je vous ai confié en présence de Jésus-Christ et de l'Église que vous gouvernez».
L'évêque ne comprit pas. Il crut que l'Apôtre lui redemandait de l'argent, déposé entre ses mains, ce dont il n'avait aucun souvenir. «Je vous redemande, continua saint Jean, le jeune homme que je vous ai confié, l'âme de votre frère». A ces mots, le vieillard baisse la tête et se met à pleurer. «Il est mort, dit-il. - Comment et de quel genre de mort ? - Il est mort à Dieu. Couvert de crimes, perdu de vices, il s'est fait brigand. Au lieu de l'église où il habitait, il occupe une montagne, à la tête d'une bande de brigands comme lui». À cette nouvelle, l'Apôtre déchire ses vêtements, pousse un grand soupir et, se frappant la tête avec ses mains, il dit : «J'ai laissé à un bon gardien l'âme de votre frère. Vite ! vite ! qu'on me prépare un cheval et un guide !» Et il sort précipitamment de l'église.
Voyez-vous saint Jean, le disciple bien-aimé, ce vieillard âgé de près de cent ans, courir après la brebis égarée ! Arrivé sur la montagne, il tombe sur le premier poste des voleurs. Il ne cherche ni à fuir ni à se défendre : ils l'arrêtent. «C'est pour cela que je suis venu ! crie-t-il de toutes ses forces. Conduisez-moi à votre chef». Celui-ci attendait, armé jusqu'aux dents. Apprenant que c'était saint Jean qui arrivait, honteux il prend la fuite. L'Apôtre, oubliant son âge, se met à courir après lui de toutes ses forces et en criant : «Mon fils, pourquoi fuyez-vous votre Père sans armes et brisé par l'âge ? Ayez compassion de ma fatigue. Ne craignez rien. Il y a encore pour vous une espérance de salut. Je répondrai pour vous à Jésus-Christ, et, s'il le faut, je donnerai volontiers ma vie pour sauver la vôtre, comme le Seigneur a donné la sienne pour nous tous. Arrêtez ; ayez confiance ; c'est Jésus-Christ qui m'a envoyé vers vous !» Entendant ce langage, le voleur baisse les yeux et s'arrête ; puis il jette ses armes. Alors, pénétré d'horreur, il pousse un amer soupir et tombe dans les bras du vieillard. Autant qu'il peut, il lave ses fautes dans un torrent de larmes, seulement il cache soigneusement sa main droite, parce qu'elle avait été le principal instrument de ses crimes. L'Apôtre l'assure de nouveau qu'il obtiendra du Sauveur son pardon plein et entier, et, se mettant à genoux devant lui, il lui baise la main droite, lavée désormais dans le baptême de la pénitence, et le ramène à l'église. Il prie beaucoup pour lui, jeûne et se mortifie avec lui, nourrit son âme de sages maximes de l'Écriture, y fait couler le baume de la confiance, le rétablit dans la paix et ne le quitte qu'après lui avoir donné une charge dans l'Eglise. Cette éclatante conversion est tout ensemble le triomphe de la pénitence, la preuve de la résurrection qu'elle opère et un exemple proposé à l'imitation des plus grands pécheurs.
Nous sera-t-il permis d'ajouter que cet épisode de la vie de saint Jean serait, pour les artistes, le sujet d'un magnifique tableau ? L'importance du fait en lui-même, le contraste des figures, et, comme encadrement les arbres, les rochers de la montagne et cette ceinture de bandits stupéfaits de ce qui se passe entre le vieillard et leur chef, quel champ pour l'imagination, quels riches éléments pour la peinture ! En choisissant de pareils sujets, l'art redeviendrait ce qu'il doit être, un sacerdoce ; tandis que, s'égarant comme il fait depuis la Renaissance, dans le dédale impur de la mythologie païenne, il est un métier stérile et presque toujours un instrument de corruption.