Nos saints ont reçu la miséricorde
Cela peut nous faire du bien de contempler d’autres qui se sont laissés recréer le cœur par la miséricorde et d’observer dans quel ‘‘réceptacle’’ ils l’ont reçue.
Paul la reçoit dans le réceptacle dur et inflexible de son jugement forgé par la Loi. Sa dureté de jugement le poussait à être un persécuteur. La miséricorde le transforme de telle manière que, tout en devenant quelqu’un qui cherche les plus éloignés, qui cherche les gens de mentalité païenne, en même temps il est plus compréhensif et miséricordieux envers ceux qui étaient comme lui, il avait été. Paul voulait être considéré anathème afin de sauver les siens. Son jugement se consolide ‘‘en ne se jugeant même pas lui-même’’, mais en se laissant justifier par un Dieu qui est plus grand que sa conscience, en recourant à Jésus Christ qui est un avocat fidèle de l’amour duquel rien ni personne peut le séparer. La radicalité des jugements de Paul sur la miséricorde inconditionnelle de Dieu, qui surmonte la blessure de fond, celle qui fait que nous avons deux lois (celle de la chair et celle de l’Esprit), est telle parce qu’elle est le récipient d’un esprit sensible au caractère absolu de la vérité, esprit blessé là même où la Loi et la Lumière deviennent un piège. La fameuse ‘‘épine’’ que le Seigneur ne lui enlève pas est le réceptacle dans lequel Paul reçoit la miséricorde du Seigneur (2 Corinthiens 12, 7).
Pierre reçoit la miséricorde dans sa présomption d’homme de bon sens. Il était doté du bon sens robuste et expérimenté d’un pêcheur, qui sait par expérience quand on peut pêcher ou non. C’est le bon sens de celui qui, lorsqu’il s’enthousiasme en marchant sur les eaux et en obtenant une pêche miraculeuse et qu’il commet un excès en se regardant lui-même, sait demander de l’aide au seul qui peut le sauver. Ce Pierre a été guéri de la plus profonde blessure qu’il puisse y avoir, celle de renier un ami. Peut-être le reproche de Paul, lorsqu’il lui jette à la figure sa duplicité, a-t-il un lien avec cela. Il semblerait que Paul sentait qu’il avait été lui-même le pire [des hommes] ‘‘avant’’ de connaître le Christ ; mais Pierre, après l’avoir connu, l’avait renié… Cependant, en avoir été guéri a transformé Pierre en un Pasteur miséricordieux, en une pierre solide sur laquelle on peut toujours édifier, parce qu’il s’agit d’une pierre fragile qui a été assainie, non une pierre qui dans sa robustesse conduit le plus faible à trébucher. Pierre est le disciple que le Seigneur reprend le plus dans l’Évangile. Il est le plus « bastonné » ! Il le corrige constamment, jusqu’au dernier moment : « Que t’importe ? - carrément ! - Toi, suis-moi » (Jean 21, 22).
La tradition dit qu’il lui est apparu de nouveau lorsque Pierre fuyait de Rome. Le signe de Pierre crucifié la tête en bas est peut-être le plus éloquent de ce réceptacle à la tête dure qui, pour être miséricordieuse, se met vers le bas y compris en rendant le témoignage suprême d’amour à son Seigneur. Pierre ne veut pas finir sa vie en disant ‘‘Moi, j’ai déjà appris la leçon’’, mais en disant : ‘‘Comme ma tête n’apprendra jamais, je la mets vers le bas’’. Au-dessus de tout, les pieds que le Seigneur a lavés. Ces pieds sont pour Pierre le réceptacle grâce auquel il reçoit la miséricorde de son Ami et Seigneur. Jean sera guéri dans sa prétention de vouloir réparer le mal par le feu et finira par être celui qui écrit ‘‘mes petits enfants’’, et il semblerait qu’il soit l’un de ces grands-parents pleins de bonté qui ne parlent que d’amour, lui, qui était « le fils du tonnerre » (Marc 3, 17).
Augustin a été guéri de sa nostalgie d’être arrivé tard au rendez-vous : cela le faisait beaucoup souffrir, et il a été guéri de cette nostalgie. « Je t’ai aimé tard », et il trouvera sa manière créative de remplir d’amour le temps perdu en écrivant ses Confessions. François est de plus en plus miséricordieux, à bien des moments de sa vie. Peut-être le réceptacle définitif, qui s’est transformé en plaies réelles, plus que de donner un baiser au lépreux, de se dépouiller grâce à dame pauvreté et de sentir toute créature comme sœur, aura-t-il été de devoir protéger dans un silence miséricordieux l’Ordre qui avait été fondé. Je trouve ici le grand héroïsme de François : devoir garder dans un silence miséricordieux l’Ordre qu’il avait fondé. C’est son grand réceptacle de la miséricorde. François voit comment ses frères se divisent en prenant comme bannière la même pauvreté. Le démon nous amène à nous quereller entre nous en défendant les plus saintes choses, mais ‘‘avec un mauvais esprit’’.
Ignace a été guéri de sa vanité, et si ceci avait été le réceptacle, nous pouvons entrevoir combien était grand ce désir de gloriole, qui a été recréé dans une telle recherche de la plus grande gloire de Dieu.Dans le Journal d’un curé de campagne, Bernanos nous relate la vie du curé d’un village, en s’inspirant de la vie du Saint Curé d’Ars. Il y a deux paragraphes très beaux qui racontent les pensées intérieures du curé aux derniers moments de sa soudaine maladie : « Au cours des dernières semaines….que Dieu me laissera, aussi longtemps que je pourrai garder la charge d’une paroisse, j’essaierai, comme jadis, d’agir avec prudence. Mais enfin j’aurai moins souci de l’avenir, je travaillerai pour le présent. Cette sorte de travail me semble à ma mesure… Car je n’ai de réussite qu’aux petites choses, et si souvent éprouvé par l’inquiétude, je dois reconnaître que je triomphe dans les petites joies ». C’est-à-dire, un récipient de la miséricorde, tout petit, a un lien avec les petites joies de notre vie pastorale, là où nous pouvons recevoir et exercer la miséricorde infinie du Père dans de petits gestes. Les petits gestes des prêtres.L’autre paragraphe dit : « C’est fini. L’espèce de méfiance que j’avais de moi, de ma personne, vient de se dissiper, je crois, pour toujours. Cette lutte a pris fin. Je ne la comprends plus. Je suis réconcilié avec moi-même, avec cette pauvre dépouille. Il est plus facile que l’on croit de se haïr. La grâce est de s’oublier. Mais si tout orgueil était mort en nous, la grâce des grâces serait de s’aimer humblement soi-même, comme n’importe lequel des membres souffrants de Jésus-Christ ». Voilà le récipient : « S’aimer humblement soi-même, comme n’importe lequel des membres souffrants de Jésus-Christ ». C’est un récipient commun, comme une vieille jarre que nous pouvons emprunter auprès des plus pauvres.
Le Père Brochero – il est de mon pays -, le bienheureux argentin, qui sera bientôt canonisé, « a laissé la miséricorde de Dieu travailler son cœur ». Son réceptacle a fini par être son propre corps de lépreux. Lui, qui rêvait de mourir en galopant, en passant à gué quelque fleuve de montagne pour aller donner l’onction à un malade. L’une de ses dernières paroles a été : « Il n’y a pas de gloire définitive dans cette vie ». Ceci nous fait penser : « il n’y a pas de gloire accomplie dans cette vie » ; « je suis très satisfait de ce qu’il m’a fait concernant la vue, et je le remercie beaucoup de cela ». La lèpre l’avait rendu aveugle. « Quand je pouvais servir l’humanité, il a conservé sains et robustes mes sens. Aujourd’hui, où je ne le peux plus, il a rendu inutilisable l’un des sens de mon corps. Dans ce monde, il n’y a pas de gloire définitive, et nous sommes pleins de misères ». Nos affaires demeurent souvent à mi-chemin et, pour cela, sortir de soi est toujours une grâce. On nous concède d’‘‘abandonner les choses’’ pour que le Seigneur les bénisse et les perfectionne. Nous ne devons pas trop nous préoccuper. Cela nous permet de nous ouvrir aux peines et aux joies de nos frères. C’était le Cardinal Van Thuán qui disait qu’en prison le Seigneur lui avait enseigné à distinguer entre ‘‘choses de Dieu’’, auxquelles il avait consacré sa vie en liberté en tant que prêtre et évêque, et Dieu lui-même, auquel il se consacrait en étant en prison’’ (cf. Van Thuam, Cinque pani e due pesci, San Paolo 1997). Et nous pourrions continuer ainsi, avec les saints, en cherchant comment était le réceptacle de leur miséricorde. Mais passons maintenant à la Vierge : nous sommes dans sa maison.
Et demandons à la Vierge Marie de prier avec nous et pour nous le Père céleste, afin qu’il répande sur tous les croyants l’Esprit Saint, feu divin qui réchauffe les cœurs et nous aide à être solidaires avec les joies et les souffrances de nos frères.