Je me souviendrai toujours de mes débuts sur internet en 2008-2009 : Je reçois un appel par le programme Messenger, d'un étranger, sans savoir si c'est un homme ou une femme tellement le pseudonyme est bizarre. Dans mes premières années d'utilisation d'internet, j'étais très craintif de recevoir un appel avec un pseudonyme aussi étrange... Mais une semaine plus tard je reçois un second appel du même pseudonyme, et voici ce qui m'est venu à l'esprit. Je regardais le pseudonyme et je me disais : Tu as passé plusieurs années de ta vie à faire de la relation d'aide sur le terrain, auprès des jeunes et des adultes toxicomanes et alcooliques, de jour comme de nuit, et tu es encore vivant. Ensuite, après cette réflexion, je me suis dit : Tu es devant un écran et tu as peur d'un pseudonyme bizarre ; où est le danger, devant ton écran?
Alors si je me guidais sur ma question, il n'y avait aucun danger, je n'avais qu'à répondre au pseudonyme bizarre. Je me disais : Si c'est une personne incorrecte, je la bloque, et si au contraire c'est une personne qui a besoin d'aide, je vais l'écouter en passant par le chemin de l'écriture. Si je me guide sur cette première expérience sur le Web avec le programme Messenger, j'avais besoin d'une période d'apprivoisement car je n'étais qu'un débutant.
Aujourd'hui ma pensée est claire, nette et précise. Faire de la relation d'aide sur le terrain en contact avec des jeunes de la rue, des alcooliques et des toxicomanes, surtout quand tu es seul, c'est très différent d'être assis devant ton écran avec la seule option de réfléchir avant de passer à l'étape de l'écriture, tout dépendant de notre compétence en lien avec les sujets sensibles, surtout quand ça concerne le suicide.
Alors je me suis dit : Réponds, sur ton Messenger, et on verra bien qui est derrière ce pseudonyme bizarre. Je me suis vite aperçu que c'était un homme. Il m'a raconté son histoire, et il m'a dit ceci : Je suis découragé, je veux mourir, pouvez-vous faire quelque chose pour moi, Madame coeurtendre?
Je lui ai répondu : Mon pauvre vous, je ne suis pas une femme mais un homme. Avec humour je lui dis : Entre moi et vous, il y a encore quelques hommes qui ont cette capacité d'écoute et qui ont le coeur tendre. Si je me guide sur le début de votre approche, j'imagine que vous avez vécu une histoire triste pour penser à passer à l'acte suicidaire. Il me dit : Ça fait proche un mois que je cherche une personne à qui raconter ma triste histoire, et vous êtes le premier à avoir accepté de me répondre sur Messenger, je pensais que votre pseudonyme de coeurtendre était celui d'une femme.
L'homme poursuivit le dialogue : Mes deux filles de 15 et 18 ans sont décédées la semaine dernière et c'est de ma faute, je voudrais mourir pour payer ma dette de leur avoir prêté mon auto trop facilement. L'homme a été un long moment sans écrire, sûrement qu'il pleurait... Parfois il s'excusait de prendre trop de temps pour écrire... Je le rassurais en lui écrivant qu'il pouvait prendre tout le temps qu'il voulait.
Je lui ai demandé si l'accident avait été causé par une consommation de drogue ou de boisson, ou pour une autre raison. Il me dit que c'était une personne qui était passée au feu orange et que l'accident n'avait pas été causé par ses deux filles. Ma réaction a été très naturelle, je lui ai dit : Si je me guide sur la façon dont vous me racontez votre histoire, je me dis que si c'était vous qui aviez été au volant de votre voiture, l'homme aurait pris le risque de passer au feu orange et c'est vous qui ne seriez plus de ce monde.
L'erreur n'est pas de vous, mais de cet homme qui n'a pas marqué l'arrêt en respectant le code la route. En effet, le code de la route dit : "Le conducteur d’un véhicule routier ou le cycliste doit immobiliser son véhicule avant le passage pour piétons ou la ligne d’arrêt, ou, s’il n’y en a pas, avant la ligne latérale de la chaussée qu’il s’apprête à croiser, à moins qu’il n’y soit engagé ou en soit si près qu’il lui serait impossible d’immobiliser son véhicule sans danger."
Est-ce la première fois que vous prêtiez votre auto à vos deux filles?
L'homme me répondit : Non ; quand elles voulaient aller faire des commissions, je la leur prêtais toujours parce que je savais qu'elles étaient très prudentes et respectueuses du code de la route, car au tout début j'étais présent avec elles, alors que maintenant elles sont parties pour toujours, je ne pourrai jamais, jamais plus les revoir.
Comme il n'écrivait plus, j'ai pris une chance en lui disant ceci : Alors, entre moi et vous, vous n'avez rien à vous reprocher quant à la responsabilité de cet accident. Il était imprévisible, à cause de cet homme qui n'a pas respecté le code de la route. Vous avez aimé vos filles, vous leur avez fait confiance en leur prêtant votre voiture. Moi, je n'ai pas d'auto, je n'ai pas d'enfant, mais juste à lire votre histoire sur mon Messenger, ça me fait grandement réfléchir. Ensuite en lisant votre histoire, je sens comme je ressens dans les profondeurs de mon coeur, que vous êtes un père de famille au-delà de l'extra.
Ni vous ni moi ni personne d'autre n'a le contrôle de sa vie car personne ne connaît l'heure et encore moins la raison de son départ. Mais l'amour que vous avez eu pour vos filles, il restera toujours présent dans votre coeur de père. Qu'en pensez-vous?
L'homme me répondit : Vous savez, coeurtendre, je n'avais jamais analysé mon histoire à partir des explications que vous m'avez apportées jusqu'à maintenant, je pense que vous m'avez sauvé la vie avec toutes ces explications que vous m'avez données, sans même vous en rendre compte. Cette souffrance de voir mes filles partir trop vite m'a empêché d'en faire une analyse aussi judicieusement que vous l'avez fait.
Analyser cette situation tragique du départ imprévu de mes deux filles comme vous l'avez si bien fait, c'est rare. Je suis chanceux que vous m'ayez répondu sur votre Messenger, car au moment où j'ai vu votre pseudonyme de coeurtendre, je pensais que vous étiez une femme, et aujourd'hui je suis surpris de me retrouver en contact avec un homme qui m'a écouté. Je me suis dit : Je suis certain qu'avec un tel pseudonyme cette femme va sûrement me répondre. Encore une fois, merci de m'avoir sauvé la vie. Ha, comme la vie est trompeuse! On ne sait jamais qui est qui sur le Web et comme c'est difficile de trouver une oreille attentive...
Avant de quitter l'homme, je l'ai prévenu que s'il avait eu un meilleur pseudonyme, il aurait sûrement obtenu de l'aide plus rapidement, car moi-même son pseudonyme me rendait craintif pour lui répondre. Il a réagi en me disant : Moi aussi, je ne l'aime pas trop, mais je vous promets de le changer.
Conclusion Cette première expérience est restée greffée dans mon coeur d'internaute, elle m'a permis de comprendre qu'en respectant la nétiquette du Web, on pouvait sauver des vies ; en passant par le chemin de l'écriture et celui des contacts en vidéo-conférence, mais il faut le faire avec prudence. Voici un autre fait vécu concernant une dame qui a fait l'achat d'un ordinateur en espérant briser sa solitude, mais malheureusement, après deux ans elle s'est retrouvée devant un vide immense, et voici pourquoi dans mon prochain récit.