Chapitre 2 - Le bon Larron
Fuite de la sainte Famille en Égypte. - Rencontre des voleurs dans le désert. - Ce fait, très vraisemblable en lui-même, attesté par la tradition. - Autorité de cette tradition. - Elle est consignée dans des monuments du IIè et du IIIè siècle. - Ce qu'il faut penser des Évangiles apocryphes. - Témoignages des siècles postérieurs ; Eusèbe d'Alexandrie, Grégoire de Tours, saint Anselme, Vincent de Beauvais. - Le grand historiographe de Notre-Seigneur, Landolphe de Saxe, le savant Père Orilia et une foule d'autres. - Ce qui se passa dans cette rencontre. - Prévoyance de l'infinie miséricorde de Notre-Seigneur.Le massacre des Innocents approchait. Parmi tant de victimes, Hérode en cherchait une seule. Dieu, qui se joue des conseils des hommes, sauva cette seule victime, et le royal assassin ne retira de sa barbarie d'autre bénéfice que l'horreur de la postérité. Averti par un ange, Joseph prend l'enfant et Sa mère, quitte sa demeure pendant le silence de la nuit et se dirige en toute hâte vers l'Égypte (Matth. II, 13, 14).
Deux voies pouvaient y conduire : la voie de mer et la voie de terre. Avant d'atteindre la première, il fallait venir jusqu'à Joppé, ou aux environs, et traverser vingt lieues d'un pays très habité. C'était pour les fugitifs courir le risque, à peu près certain, d'être reconnus et arrêtés. De plus, arrivés au lieu d'embarquement, ils pouvaient se voir obligés d'attendre, peut-être plusieurs jours, l'occasion de partir ; autant d'heures de délai, autant de périls.Enfin, il fallait des ressources pour payer le voyage.
Or, la sainte Famille était pauvre. Il est même probable qu'elle l'était plus encore dans cette circonstance. Aucun préparatif n'avait pu être fait. L'ordre du départ était venu inopinément et au milieu de la nuit. Pressant comme un cri d'alarme, respecté comme un ordre du ciel, il ne permettait ni hésitation ni délai. Ces raisons, et d'autres encore, ne permettent pas de supposer que la Sainte Famille ait choisi la voie de mer.Restait la voie de terre ; elle aussi avait ses dangers. D'une part, entre les frontières méridionales de la Judée et la terre d'Égypte, s'étendait un désert de quarante lieues, qu'il fallait nécessairement traverser. D'autre part, nous avons vu que la Palestine et les alentours étaient depuis longtemps infestés de brigands. Plus qu'ailleurs on devait naturellement, nous dirions presque infailliblement, les rencontrer dans ces lieux écartés, loin des habitations et surtout au milieu d'une vaste solitude, route obligée des caravanes. Là, sans crainte d'être vus ni entendus, ils pouvaient exercer leur coupable et trop souvent sanguinaire profession.
Telle fut la route suivie par les illustres fugitifs. Aussi l'art, interprète de la tradition, représente constamment la sainte Famille, fuyant par terre vers l'Égypte. Saint Joseph, d'une main appuyé sur un bâton, conduit, de l'autre, la modeste monture sur laquelle la sainte Vierge est assise, tenant l'Enfant Jésus dans ses bras.Une autre tradition, dont le IIIè siècle offre déjà des monuments écrits dans les langues orientales , nous apprend que la sainte Famille n'échappa point au danger commun, et qu'elle fut rencontrée par les brigands du désert. Avant de rapporter les détails de cette rencontre, il nous semble utile de produire quelques preuves à l'appui d'un événement qui, suivant la même tradition, tient une si large place dans la vie de saint Dimas.
Que, dans sa fuite en Égypte, la sainte Famille ait été, comme tant d'autres voyageurs, surprise par les voleurs, ce fait n'a rien d'impossible. On peut même ajouter que les notions historiques, rappelées plus haut, le rendent vraisemblable. Sans doute, il n'est pas consigné dans l'Évangile ; mais le silence des écrivains sacrés n'en détruit pas l'authenticité. A beaucoup près, tout n'est pas écrit dans le Nouveau Testament. Saint Jean lui-même dit que le livre divin contient à peine la minime partie des faits relatifs à Notre-Seigneur (XXI, 25). Il est même des points essentiels, dont on n'y trouve pas le moindre vestige. Tels sont, entre autres, la substitution du dimanche au sabbat et la validité du baptême par infusion.Ici, comme ailleurs, la tradition supplée au silence de l'Évangile.
De bonne heure, cette tradition se fixa dans des monuments écrits. Saint Luc nous apprend que, dès les premiers jours du christianisme, il parut un grand nombre d'ouvrages sur la vie de Notre-Seigneur (I, 1). On le comprend sans peine. Au rapport d'Eusèbe, des foules innombrables, attirées par le bruit des miracles de l'Homme-Dieu, accouraient en Palestine, des extrémités les plus reculées de la terre, pour le voir et lui demander des faveurs. Or, l'homme est ainsi fait que toujours et partout, même dans les siècles d'incrédulité et de matérialisme, il se montre avide du merveilleux. Ces pèlerins, Juifs ou étrangers, qui avaient eu le bonheur de voir Jésus de Nazareth, ou qui avaient conversé avec ceux qui L'avaient vu, publièrent à l'envi les moindres détails sur Sa vie et sur Ses miracles. Telle fut l'origine, moralement certaine, des nombreux écrits auxquels l'évangéliste fait allusion.Quels étaient ces premiers ouvrages, dont il faut déplorer la perte ? Nul ne le sait.
Du moins, on peut affirmer qu'ils servirent de base à un grand nombre de recueils de traditions évangéliques, répandus plus tard en Orient et en Occident. Les uns furent rédigés avec plus de piété que de critique. D'autres, composés ou falsifiés par les hérétiques, renfermaient le venin de leurs erreurs. Aucun n'était certainementdes auteurs dont il portait le nom. Dans son infaillible sagesse, l'Église les rejeta tous du canon des saintes Écritures.Mais, en les déclarant apocryphes, elle n'eut pas l'intention de les dénoncer comme faux et mensongers de tous point. À l'ivraie de l'erreur s'y trouve mêlé le bon grain de la vérité. La vérité se reconnaît sans peine, lorsque le récit des apocryphes est conforme à celui des auteurs canoniques, ou à l'enseignement traditionnel de l'Église : le cas est assez fréquent.
Rapportent-ils seuls des particularités, relatives à Notre-Seigneur, à la sainte Vierge, aux apôtres ? Si de telles particularités n'ont rien de puéril ni d'invraisemblable, à plus forte raison, rien de contraire à la foi ; si même elles semblent conformes aux mœurs et aux usages de l'antiquité, elles constituent comme une tradition de second ordre, qui n'est nullement condamnée ni condamnable ; tradition qui jouit même d'une autorité relative, sur laquelle reposent un certain nombre de faits, entrés, sans opposition de la part de l'Église, dans le domaine public.
L'Église elle-même s'est servie contre les iconoclastes de la lettre d'Abgar, bien que rangée parmi les apocryphes par le Pape saint Gélase. Au VIIIè siècle, le Pape saint Grégoire II, qui connaissait apparemment le décret de son prédécesseur, ne craint pas d'écrire à l'empereur iconoclaste, Léon l'Isaurien : «Pendant que Notre-Seigneur parcourait les environs de Jérusalem, Abgar, roi d'Édesse, ayant entendu parler de Ses miracles, Lui écrivit une lettre. Notre-Seigneur daigna lui répondre de Sa propre main et lui envoyer Son adorable portrait. Allez vous-même, et envoyez à cette sainte image qui n'a pas été faite de main d'homme. Là, s'assemblent en foule pour prier les peuples d'Orient». Quelques années plus tard un autre Souverain Pontife, Adrien Ier, rend compte à Charlemagne de ce qui s'est passé au concile de Rome, tenu sous Étienne IV, et lui dit : «Notre prédécesseur, de sainte mémoire, le seigneur Étienne, présidant ce concile, rapporte un grand nombre de témoignages dignes de foi qu'il confirme lui-même ; puis il donne cet enseignement : «Mais il ne faut pas omettre ce que nous avons souvent appris par la relation des fidèles qui viennent d'Orient. Il est vrai, l'Évangile ne parle pas de ce qu'ils rapportent, mais cela n'est nullement incroyable, l'Évangéliste lui-même disant que Notre-Seigneur a fait beaucoup de choses qui ne sont pas écrites dans l'Évangile. Ils affirment donc que le Rédempteur du genre humain, vers le temps de Sa Passion, répondit une lettre au roi d'Édesse qui désirait le voir, et qui lui offrait un asile contre les persécutions des Juifs». Vient ensuite la lettre de Notre-Seigneur.
Remarquons que saint Grégoire et Adrien écrivaient des lettres officielles à des empereurs, dont l'un était l'ennemi juré des saintes images. Si les lettres de Notre-Seigneur et d'Abgar, bien que rejetées du canon des Écritures, n'avaient pas eu une autorité fort respectable, comment les souverains Pontifes auraient-ils osé les produire avec assurance, en faveur du culte traditionnel des saintes images ? Au reste, les protestants se montrent parfois moins dédaigneux que certains catholiques modernes, à l'endroit des apocryphes.
À l'occasion des lettres d'Abgar, qui nous ont été conservées par Eusèbe, le docte Pearson manifeste une confiance à nos traditions primitives qui fait autant d'honneur à son impartialité qu'à son érudition. Le savant et sage annaliste de l'Église, Baronius, ne fait pas difficulté de s'appuyer sur les apocryphes, pour établir, contre saint Jérôme, que le Zacharie, mis à mort par les Juifs, entre le temple et l'autel, est Zacharie père de saint Jean-Baptiste. La règle à suivre, en citant l'autorité des apocryphes, est celle que nous indique le grand cardinal : l'admettre avec prudence, caute admittenta ; ne pas y tenir mordicus, mordicus defendi non debent. Inutile d'ajouter que notre intention a été de nous y conformer, dans tout le cours de cette histoire.Les circonstances particulières contenues dans les apocryphes, ajoute Brunet, loin d'être restées stériles, ont eu, pendant une longue suite de siècles, l'action la plus puissante et la plus féconde sur le développement de la poésie et des arts.
L'épopée, le drame, la peinture, la sculpture du moyen âge, n'ont pas fait faute d'y puiser à pleines mains. Laisser de côté l'étude des évangiles apocryphes, c'est renoncer à découvrir les origines de l'art chrétien. Ils ont été la source où, dès l'extinction du paganisme, les artistes ont puisé toute une vaste symbolique. Diverses circonstances, rapportées par ces légendes, et consacrées par le pinceau des grands maîtres de l'école italienne, ont donné lieu à des attributs, à des types que reproduisent chaque jours les arts du dessin». Parmi tous ces ouvrages, nous en citerons deux seulement. L'un rapporte avec quelques détails la rencontre de la sainte Famille, par les voleurs du désert. L'autre donne le nom, devenu traditionnel, des deux larrons du Calvaire. Le premier en date est l'Evangile de l'Enfance. Il remonte au moins à la fin du IIè siècle. Rédigé primitivement en syriaque ou en grec, il fut traduit dans les différentes langues de l'Orient et de l'Occident. On l'a retrouvé en Égypte, chez les Coptes ; aux Indes, chez les chrétiens fixés sur les côtes du Malabar ; chez les Arméniens et même chez les Musulmans. Nous ne parlons pas des peuples de l'Europe, où des éditions multipliées l'avaient rendu populaire.Quel qu'en soit l'auteur, cet écrit contient des faits parfaitement avérés ; telles sont les circonstances de l'adoration des Mages et la cause du départ de la sainte Famille pour la terre d'Égypte. «Voici, dit le chapitre septième, ce qui arriva. Tandis que le Seigneur Jésus était né à Bethléem, ville de Judée, au temps du roi Hérode, des Mages vinrent du pays de l'Orient à Jérusalem, ainsi que l'avait prédit Zoradasch (Zoroastre)1.
Et ils apportèrent avec eux des présents, de l'or, de l'encens et de la myrrhe, et ils adorèrent l'Enfant, et ils Lui firent hommage de leurs présents». Et le chapitre neuvième : «Hérode, voyant que les Mages ne retournaient pas vers lui... commença à méditer en son esprit le meurtre du Seigneur Jésus. Alors un ange apparut à Joseph dans son sommeil, et il lui dit : "Lève-toi, prends l'enfant et Sa mère, et réfugie-toi en Égypte". Et, au chant du coq, très tôt le matin, Joseph se leva et partit». On y trouve d'autres faits qui appartiennent à la tradition de second ordre, dont nous avons parlé, comme la rencontre des voleurs et de la sainte Famille.Le chapitre vingt-troisième la décrit en ces termes : «Ils arrivèrent ensuite à l'entrée du désert. Et comme ils apprirent qu'il était infesté de voleurs, ils se préparaient à le traverser pendant la nuit. Et voici que tout à coup ils aperçurent deux voleurs qui étaient endormis ; et près d'eux, ils virent un grand nombre d'autres voleurs, qui étaient les camarades de ces gens et qui étaient aussi plongés dans le sommeil.«Ces deux voleurs se nommaient Titus et Dumachus 2. Le premier dit à l'autre : «Je te prie de laisser ces voyageursaller en paix, de peur que nos compagnons ne les aperçoivent». Dumachus s'y refusant, Titus lui dit : «Reçois de moi quarante drachmes, et prends ma ceinture pour gage. » Et il la lui présentait, le priant de ne pas appeler et de ne pas donner l'alarme.«Marie, voyant ce voleur si bien disposé à lui rendre service, lui dit : «Que Dieu te soutienne de Sa main droite et qu'Il t'accorde la rémission de tes péchés». Et le Seigneur Jésus dit à Sa mère : «Dans trente ans, ô ma mère, les Juifs me crucifieront, et ces deux voleurs seront mis en croix à Mes côtés, Titus à ma droite et Dumachus à ma gauche ; et ce jour-là Titus sera avec Moi dans le paradis». «Et lorsqu'il eut ainsi parlé, sa mère Lui repartit : «Que Dieu détourne de vous de semblables choses !» Et ils s'acheminèrent ensuite vers une ville des idoles». Le second et le plus célèbre de tous est l'Evangile de Nicodème. Il ne contient presque pas de phrase qu'on ne retrouve, quant au sens, dans maint écrivain des premiers siècles, tels que saint Cyrille de Jérusalem, saint Chrysostome, Firmicus Maternus, saint Hippolyte. Ainsi, le fond du récit n'est pas contestable. Rédigé dans sa forme actuelle, vers le IVè ou le Vè siècle, cet Évangile fut de bonne heure répandu et goûté dans tout l'Occident.Grégoire de Tours, Vincent de Beauvais, et une foule d'autres écrivains du moyen âge, ont souvent recours à cet écrit, dont l'autorité n'est jamais suspecte à leurs yeux.
En Égypte, Eusèbe d'Alexandrie le commente et l'analyse avec une énergique confiance. À des époques peu éloignées, l'Évangile de Nicodème se lisait dans les églises grecques, non comme faisant partie de l'Écriture sainte, mais comme un ouvrage édifiant et l'oeuvre d'un auteur respectable. Aussi, on ne peut compter le nombre des éditions qui en ont été faites, dans toutes les langues.
Comme celui de l'Enfance, l'Évangile de Nicodème rapporte, outre des faits divinement certains, des circonstances étrangères au récit, du reste très rapide, des écrivains sacrés. En voici un seul exemple. «Jésus, dit le chapitre dixième, sortit du Prétoire. Et lorsqu'il fut arrivé au lieu appelé Golgotha, les soldats le dépouillèrent de Ses vêtements et le ceignirent d'un linge, et ils mirent sur Sa tête une couronne d'épines, et ils placèrent un roseau dans Ses mains, et ils crucifièrent également les deux voleurs à ses côtés, Dimas à sa droite, et Gestas à sa gauche». Fondés sur ces évangiles, ou sur des monuments aujourd'hui perdus, des témoins nombreux et dont on ne peut suspecter ni la science ni la bonne foi, ont transmis à la postérité et le souvenir de cette mémorable rencontre et les noms des deux voleurs. Parmi les ouvrages de saint Augustin, il en est un qui porte pour titre ; De vita eremetica. Longtemps ce traité fut attribué au grand évêque d'Hippone. Avec le savant Père Raynaud, nous le croirions plutôt de saint Anselme, archevêque de Cantorbéry. Quel qu'en soit l'auteur, cet ouvrage est fort ancien, et, sur le point qui nous occupe, il confirme la tradition de l'Orient et de l'Occident.Voici en quels termes il la résume : «Regardez comme vrai ce qu'on dit que la sainte Famille, arrêtée par les voleurs, dut sa délivrance au bon vouloir d'un jeune homme. La tradition rapporte qu'il était le fils du chef des voleurs.
Des écrivains orientaux présentent ce personnage célèbre comme ayant été disciple du prophète Elie. On peut consulter â son égard le savant article, fort étendues (66 pag.), que M. Parisot lui a consacré dans le LIIè vol. de la Biographie universelle. (Note de Brunet.) - Zoroastre n'est pas le seul prophète de la Gentilité, qui ait annoncé les événements relatifs à la venue du désiré de toutes les nations. 2 La tradition la plus suivie leur donne des noms différents ; mais ce n'est qu'un détail. D'ailleurs, rien n'empêche d'admettre qu'ils aient eu plusieurs noms. L'histoire profane et même l'histoire évangélique, ne font-elles pas mention de personnages connus sous des noms divers ? Aujourd'hui même, est-il rare de voir, dans tous les pays, les débats judiciaires apprendre au public, que, outre leur nom propre, bon nombre de voleurs et autres repris de justice portent des noms de guerre ?
Ayant été arrêté les augustes voyageurs, il aperçut un petit enfant dans le giron de sa mère. La majesté qui brillait sur l'admirable visage de cet enfant le frappa tellement, qu'il ne douta point qu'Il ne fût plus qu'un homme, et, épris de tendresse, il L'embrassa. «O bienheureux enfant ! s'écria-t-il, si jamais l'occasion se présente d'avoir pitié de moi, souvenez-Vous de moi, et n'oubliez pas la rencontre d'aujourd'hui».«La tradition tient que ce jeune homme est le larron qui fut crucifié à la droite de Jésus-Christ. S'étant retourné vers le Seigneur, il reconnut en Lui le majestueux enfant qu'il avait vu dans sa jeunesse. Alors, se rappelant son pacte : Souvenez-Vous de moi, lui dit-il, lorsque vous serez dans Votre royaume. Comme motif d'amour, je ne crois pas inutile de faire usage de cette tradition, sans me permettre aucune affirmation téméraire».Le savant cardinal, saint Pierre Damien, mort en 1072, attribue la conversion du bon larron aux prières de la sainte Vierge, heureuse de reconnaître en lui le voleur qui, dans le désert, avait pris la protection de la sainte Famille. Le jeune voleur compléta sa bonne œuvre. Non seulement il empêcha de dévaliser les augustes voyageurs ; il les conduisit lui-même dans son gîte, pour y passer la nuit ; leur fournit ce qui leur était nécessaire et le lendemain leur donna une sûre escorte pour les accompagner.Elle serait longue la liste des auteurs, recommandables par leur science et par leur piété, qui se sont faits les défenseurs de la même tradition et qui l'admettent sans doute ni réserve. Tels sont en particuliers le Bienheureux Jacques de Voragine, archevêque de Gênes, le savant évêque d'Équilium, Pierre de Natalibus, le grand historiographe de NotreSeigneur Jésus-Christ, Landolphe de Saxe, le Père Orilia, Des pieux ouvriers.
Dans un de ses discours, le premier s'exprime ainsi : «Lorsqu'elle fuyait en Égypte, la sainte Famille tomba entre les mains des voleurs. L'un d'eux, ravi de la beauté de l'Enfant : «Je vous l'assure, en vérité, dit-il à ses compagnons, si Dieu pouvait se revêtir de notre chair, j'affirmerais que cet enfant est Dieu». Ces paroles adoucirent les voleurs qui laissèrent aller l'Enfant et sa mère sans leur faire aucun mal». Au fait principal, le second ajoute les détails suivants : Non seulement le jeune voleur, ravi de la beauté de l'enfant et de la douceur de Sa mère, s'abstint de les dévaliser, il Les conduisit dans sa caverne pour y passer la nuit, leur fournit ce qui leur était nécessaire et leur donna une escorte pour Les accompagner». Landolphe de Saxe ne s'écarte en rien de la tradition, dont il semble avoir copié le témoignage dans saint Anselme. A ces autorités le Père Orilia ajoute celle de son érudition et de sa piété.
Pas plus que ses devanciers, il ne révoque en doute la rencontre de la sainte Famille par les voleurs du désert, et l'influence qu'elle eut sur la conversion du bon larron. «Je pourrais, dit-il, faire une longue nomenclature des auteurs qui rapportent le même fait ; mais il serait fastidieux de les citer tous». Il aurait pu ajouter que l'Orient est encore plein de cette tradition, à laquelle il tient avec la fermeté, nous dirions volontiers, avec l'immobilité qui le caractérise. Quant aux variantes qui se remarquent dans les récits de nos auteurs, sont-elles de nature à infirmer le fait principal ?
Nous ne le pensons pas. La critique même la plus sévère ne fait nulle difficulté d'admettre, pour le fond, un grand nombre de faits racontés diversement par les historiens. Tels sont, pour en citer quelques-uns des plus célèbres et des moins contestés ; le meurtre de César, les conquêtes de Clovis et même certaines batailles de Napoléon.Une preuve de l'ordre moral peut confirmer les témoignages de la tradition. La Providence ne tâtonne jamais. Son infinie sagesse embrasse le passé, le présent et l'avenir, et sa bonté égale sa sagesse. Qui sait si ce n'est pas pour les faire éclater l'une et l'autre, que fut ménagée la rencontre du désert ? Combien d'autres rencontres non moins mystérieuses nous trouvons dans l'Évangile ! Était-ce par hasard que le lépreux de la montagne, la Samaritaine, Zachée, Matthieu, se trouvèrent sur le passage de Notre-Seigneur ? Aveugle qui ne verrait pas la miséricorde appelant la misère, le médecin allant au-devant du malade ?
De même, en appelant sur sa route le jeune voleur et en lui inspirant un acte d'humanité, Celui qui a dit ; J'étais voyageur, et vous M'avez donné l'hospitalité ; Celui qui ne laisse pas sans récompense le simple verre d'eau froide donné en Son Nom, n'aurait-Il pas voulu déposer, dans l'âme du malfaiteur, le germe précieux qui devait un jour s'épanouir si magnifiquement sur la croix ? S'il en estain si, et rien ne prouve qu'il en soit autrement, nous trouvons, dès le début, de quoi admirer la miséricorde divine, dont le bon larron est, sans contredit, un des plus consolants miracles.