Bonjour, Mme Brémond. Après avoir accompagné des couples en difficulté pendant plusieurs années, la solitude surprise n'est plus une surprise pour moi. Pour vous permettre de comprendre cette expression, je vais vous raconter quelques faits vécus, que voici. J'aimais beaucoup l'une de mes professeures, parce que sa personnalité rayonnait d'un amour inconditionnel et compassionnel. Quand j'ai retracé ses nom et prénom sur Facebook en 2009, j'ai eu avec elle un dialogue qu'il n'était pas possible d'avoir dans les années 1965-1970 alors que je n'avais que 9 ans. Cette professeure extraordinaire et inoubliable m'a ouvert son coeur à livre ouvert concernant les difficultés de la vie de leur couple. Ce fut pour moi une surprise incroyable, qui m'a permis de comprendre que derrière les apparences de la joie que l'on voit sur le visage d'une personne, il y a parfois de la souffrance qui se cache derrière cette joie. Je sais d'expérience qu'il est possible de paraître le visage heureux et d'avoir un coeur malheureux.
En me parlant de la présence de son mari dans la maison, elle me disait qu'au moment où il était présent avec elle, c'était aussi silencieux qu'au moment où il était absent. Quand elle lui parlait, il ne lui répondait jamais, c'était le grand silence sans fin, sans jamais connaître les raisons des nombreux silences imposés par son mari. Cette mauvaise solitude surprise imposée par son mari, cette solitude, elle avait commencé à s'en rendre compte quelques mois seulement après son mariage, qui a duré une quarantaine années. Un jour, cette solitude imposée par son pauvre mari a conduit leur couple au divorce.
Dans les années 1965-70, les professeurs(es) enseignaient et les élèves écoutaient, il n'y avait aucune possibilité de dialogue individuel entre les professeurs et les étudiants(es) pour permettre aux étudiants de dénoncer les abus de maltraitance qu'ils vivaient dans leurs milieux familiaux. Feu mon pauvre père était un homme qui souffrait de cruauté mentale, qu'aujourd'hui on appellerait perversion narcissique au plus haut degré. Alors le silence imposé par le mari de ma professeure, moi-même je l'ai vécu pendant 15 ans 1/2. Elle m'a dit : Tu sais, Michel, quand tu faisais partie des mes élèves, j'étais convaincue que tu vivais une situation qui n'était pas normale dans ton milieu familial.
Les multiples expériences sur le terrain des grandes souffrances de la vie m'ont fait comprendre que, très souvent, les apparences du visage sont trompeuses et qu'il faut aller au-delà des apparences. Je n'aurais jamais pensé que ma professeure vivait cette forme de solitude imposée par son mari.
Ne l'oublions jamais, au grand jamais, choisir l'option de vivre en couple pour faire l'expérience d'une solitude que l'autre va découvrir seulement quelques mois ou un an après son mariage, comme l'a vécu ma professeure, c'est l'épreuve de toute une vie qui commence pour la personne qui ne s'y attendait pas du tout. Je crois qu'il faut faire la différence entre un espace de bonne solitude dans le couple, et notre propre solitude que l'on impose à l'autre et qui très malheureusement empêche une vie à deux de naître dans cette merveilleuse aventure de la vie. Dans une vie à deux, il faut savoir divorcer d'avec notre solitude pour nourrir la solitude de l'autre, sinon le couple risque de mourir. Que ce soit dans un couple ou dans la vie communautaire, je crois qu'il est très important de faire la différence entre la bonne solitude et une solitude que l'on impose à une autre personne.
Si je me guide sur mes multiples expériences, quand ils sont maîtrisés, les instants de solitude sont source d'épanouissement personnel et précieux avec Dieu. Ils aident à valoriser et augmenter l'estime de soi, mais plus encore, la bonne solitude crée une capacité sans fin pour nous apprivoiser à connaître et à reconnaître Dieu afin de le rendre visible là où d'autres le croient absent. Très malheureusement, notre culture mondaine semble nous empêcher d'expérimenter cette joie de la bonne solitude. Nous vivons dans un monde de perpétuelle activité qui consume tout notre temps et toute notre attention vers l'aspect matériel de la vie, qui malheureusement ne peut satisfaire notre âme.
Personnellement j'ai tellement rencontré plusieurs formes de solitude dans le monde, que j'ai comme l'impression d'avoir suivi un cours à l'Université des grandes solitudes de la vie. Les plus grandes souffrances provocatrices de la solitude non-désirée, je les ai rencontrées chez les couples, mais aussi chez les personnes vivant dans des communautés de 30 personnes et plus, que j'appelais les ''Solitudes surprises''.
Mais j'ai appris aussi en cherchant la solitude dans un lieu extérieur, au coeur même de la nature, comme certains cherchent une poustinia au coeur de la forêt pour y contempler la beauté et les richesses de dame nature. Moi un jour j'ai rencontré Dieu qui m'attendait au coeur de ma solitude intérieure, où je me suis reposé à l'ombre de Sa Présence. Depuis ce jour, j'ai compris que c'est Dieu que je cherchais comme c'est Dieu qui cherchait un coeur assoiffé de silence pour en faire Son lieu de Solitude, pour fondre Son Coeur Divin dans un coeur humain. Après cette expérience, ma vie est devenue deux avec Dieu, comme si Dieu était un briseur de solitude pour conduire tous les coeurs à faire communion avec leur Créateur, pour enrichir leur vie intérieure.
Personnellement, la raison qui me conduit le plus souvent à la solitude c'est de m'enrichir en plongeant mon coeur au coeur de l'oraison. Très souvent, quand la solitude me conduit sur le chemin de l'oraison, pas tellement longtemps après cette expérience de l'oraison, Dieu met sur ma route une personne qui souffre d'une solitude qui la fait grandement souffrir, alors j'écoute en silence et j'accueille sa présence comme j'accueille sa douleur ; ainsi va la vie.
Pour moi, la solitude est un lieu silencieux qui me permet de faire grandir les dons reçus, que Dieu dépose dans mon coeur après avoir fait oraison en prenant ma marche avec Lui, sur la montagne de mon coeur. Quand Dieu apparaît, la solitude disparaît, et Sa Présence devient une rencontre inoubliable, comme si Dieu se greffait au-dedans de nous, nous devenons des inséparables. Quand je vis cette expérience de solitude vécue dans l'abandon, j'ai comme l'impression de devenir la crèche de l'Enfant Dieu où il y a une rencontre entre deux enfants. Voir deux enfants se regarder, on dirait que c'est Dieu qui regarde Dieu : Comme c'est merveilleux!
Quand mon coeur est plongé dans la solitude profonde de la vie intérieure, quand j'arrive à fermer les yeux sur les distractions de la vie extérieure, j'entends les pas du silence de Dieu qui marche dans mon silence intérieur. Dieu prend plaisir à y jeter la semence de Sa Douce Parole qui enflamme mon coeur à l'écoute. Difficile à écrire comme à expliquer avec des mots, mais en absence de langage, il se fait comme un mariage entre nos deux coeurs, qui fait naître entre nous deux le Feu d'un Amour invisible qui devient la Source principale de ma solitude. En peu de temps, je sens comme je ressens que Dieu me demande de chercher un autre coeur à nourrir. Voilà la différence entre les solitudes surprises et constructives de Dieu, et les solitudes surprises destructives des hommes comme celle qu'a vécue ma professeure.