Chapitre 19 - Force et espérance
et tempérance du bon Larron
La Force définie par saint Thomas. - La Magnanimité, la Confiance, la Sécurité, la Patience, la Persévérance, la Longanimité, l'Humilité, la Mansuétude, filles de la Force. - Toutes se donnent rendez-vous dans l'âme du bon Larron. - Héroïsme de leurs actes. - Admiration des Pères de l'Église. Agir et souffrir est toute la vie humaine. Pour l'un comme pour l'autre, la Force est nécessaire. C'est avec raison que saint Thomas la définit : «Une disposition de l'âme qui l'affermit dans le bien, contre les attaques des passions et contre les difficultés de l'action» (I, 2, q. 61, art. 4, corp). Comme toutes les autres vertus, la Force tire son être de la charité. Disons mieux : la Force n'est que la charité même, qui, pour Dieu, souffre volontiers les contradictions et les douleurs. La mesure de la Force de Dimas est donc celle de sa charité. Or, nous l'avons vu, sa charité fut héroïque. Ce peu de mots pourraient suffire à l'éloge de notre saint. Voyons néanmoins quelques-uns des actes admirables par lesquels il manifeste la Force dont il est rempli. «La Force, dit saint Bonaventure, est mère d'une famille belle et nombreuse. Ses filles sont : la Magnanimité, la Confiance, la Sécurité, la Patience, la Persévérance, la Longanimité, l'Humilité et la Mansuétude».
La Magnanimité. - La Magnanimité suppose l'existence de ses sœurs ; mais elle est leur ornement, leur gloire, leur manteau royal. Noble et généreuse, elle les prend par la main et, leur communiquant ses qualités, elle leur fait entreprendre avec courage, poursuivre avec calme, supporter avec constance, accomplir avec une simplicité sublime, les choses les plus difficiles et les plus contraires aux inclinations de la nature. La Magnanimité brille d'un vif éclat dans le bon Larron. Avec un courage calme, une constance soutenue, une simplicité sublime, qui ne se démentent pas un instant, il entreprend, lui seul, envers et contre tous, la défense de Notre-Seigneur, la conversion des Juifs et la sanctification de son malheureux complice. Dans les mêmes dispositions, il souffre non seulement les tortures de la croix, mais encore la honte et l'ignominie, appendice nécessaire de ce cruel genre de mort. Il fait quelque chose peut-être de plus héroïque encore. Ce qui coûte le plus à l'orgueil de l'homme, c'est de s'avouer coupable. Si le monde actuel s'éloigne à vue d'œil du christianisme, ne l'attribuons ni à l'incrédulité, ni à la corruption des mœurs, ni aux iniquités qui en sont la suite, mais bien à l'abandon du tribunal de la pénitence. Ah ! si tous les pécheurs voulaient se confesser, la face de la terre serait bientôt renouvelée. Mais qu'est-ce qui empêche de se confesser ? L'orgueil. On a la faiblesse de pécher, mais on n'a pas le courage de s'avouer coupable. Quel grand exemple donne ici le bon Larron ! Se confesser à voix basse et sans être entendu de personne, si ce n'est de Notre-Seigneur, ne lui suffit pas. Foulant aux pieds l'orgueil et le respect humain, il se confesse à haute voix et en présence de tout le peuple. La Confiance et la Sécurité. - Que ces douces filles de la Force eussent choisi pour sanctuaire le cœur de notre saint, la preuve en est dans la connaissance que nous avons de ces vertus. «La Confiance, dit saint Augustin, prétend à de grandes choses et les attend avec une certitude que rien n'ébranle».
Le pardon instantané de toute une vie de brigandage matériel et moral, puis le ciel pour récompense d'un repentir de quelques heures, comment mesurer la grandeur de pareilles prétentions ? Attendre ces incompréhensibles faveurs, avec une sécurité qui ressemble déjà à la possession, tant elle est inaccessible au doute, n'est-ce pas l'héroïsme de la vertu ? La Patience. - «Suivant saint Bonaventure, la Patience est une vertu qui fait supporter, avec égalité d'humeur, toutes les injures et toutes les adversités». Autant l'illustre avocat de Jésus crucifié se tenait pour assuré du bonheur de l'autre vie, autant il se montra patient à souffrir les peines de celle-ci. La flagellation avait mis sa chair en lambeaux, les clous lui avaient percé les pieds et les mains ; les douleurs de Notre-Seigneur étaient devenues les siennes ; il souffrait au delà de ce que l'imagination peut concevoir : néanmoins, pas une plainte. Dans le souvenir de ses fautes passées, il puisait une patience héroïque et se contenait de dire : Je l'ai mérité : Nos quidem juste. Nous admirons les martyrs ; expirant joyeusement au milieu des tortures ; mais au moins ils pouvaient se dire : Je ne l'ai pas mérité. Immense consolation, dont l'absence fait ressortir la force exceptionnelle de la patience du bon Larron.
La Persévérance et la Longanimité. - Maintenir dans leur état de perfection les différentes vertus qui viennent d'être signalées, les y maintenir jusqu'au jour inconnu qui doit les couronner, les y maintenir sans que l'âme perde un instant son calme et sa sérénité : tel est l'office des deux nouvelles filles de la Force, la Persévérance et la Longanimité. Du moment où Dimas est entré dans la glorieuse carrière de la sainteté, il ne se dément point. Rien ne l'arrête dans sa course. L'œil et le cœur fixés au ciel, il demeure inébranlable dans sa patience héroïque, dans sa confiance héroïque, ne comptant pour rien les peines qu'il endure et disposé à les endurer tant que Dieu voudra. Il les endure, en effet jusqu'au moment où son âme bienheureuse reçoit la couronne des confesseurs et la palme des martyrs. L'Humilité et la Mansuétude. - Jusqu'ici nous avons vu les filles aînées de la Force orner l'âme du bon Larron, en lui imprimant ce noble caractère de grandeur, qui rehausse l'éclat de toutes ses vertus. Voici leurs petites sœurs qui vont mettre la dernière main à la perfection de cette âme d'élite.
Dans l'Écriture, Notre-Seigneur, le divin modèle de l'humanité, est appelé tour à tour Lion de la tribu de Juda, et Agneau de Dieu. Lion, c'est la force ; Agneau, c'est la douceur. L'union de ces deux vertus est la perfection. Dans la défense du Sauveur, Dimas s'est montré fort comme un lion ; le voici qui va se montrer humble et doux comme un agneau. Humble, il s'avoue coupable et digne du gibet. Humble, il n'a aucune confiance en lui-même, il attend tout de l'infinie bonté du Dieu de miséricorde qui expire à ses côtés. Un simple souvenir est tout ce qu'il ose lui demander. Doux comme un agneau, il est à l'abattoir. Lui féroce, lui violent, lui cruel au delà de ce qu'on peut dire, endure, sans ouvrir la bouche pour se plaindre, les injures des spectateurs, la honte de son supplice, des douleurs physiques et morales dont l'intensité n'a pas de nom, parce qu'elle n'a pas de mesure comparative. On dirait que c'est un autre qui souffre pour lui, tant il est calme, tant il semble insensible. Concluons avec un grand cardinal : «Voulez-vous voir un miracle de la puissance divine ? Venez contempler Dimas dans la majesté de sa force. Tout le collège apostolique, l'élite de la grâce, abandonne, éperdu, le divin Maître et prend la fuite. Seul, le bon Larron, au milieu des Juifs frémissants, demeure intrépide. Il affirme l'innocence du Seigneur : prodige de force. Il ne rougit pas de s'avouer publiquement coupable et digne du châtiment qu'il subit : autre prodige de force». Réservons néanmoins une partie de notre admiration pour une autre vertu du bienheureux Dimas. La Tempérance. - Qu'est-ce qu'un homme tempérant ? Saint Augustin répond : «L'homme tempérant est celui qui, au milieu des choses périssables et fugitives de cette vie, suit la règle tracée dans l'Ancien et dans le Nouveau Testament.
Cette règle consiste à n'aimer et à ne désirer aucune de ces choses pour elle-même, mais à s'en servir, autant que l'exigent les besoins de la vie et l'accomplissement du devoir, avec la modération d'un usufruitier, non avec la passion d'un amant». Ainsi, modérer les affections de l'âme, en les tenant également éloignées du trop ou du trop peu, est l'œuvre générale de la Tempérance. Son principal exercice est de réprimer la passion la plus impérieuse du cœur humain, l'orgueil. Or, l'expérience apprend que l'orgueil flotte sans cesse entre le découragement et la présomption. Longtemps esclave de cette passion, voyez comment notre saint la foule aux pieds ! Bien habile celui qui découvrirait la moindre trace de découragement ou de présomption, dans le converti du Calvaire. Il est au moment de mourir ; derrière lui, toute une vie de crimes dignes de la peine capitale ; devant lui, le juge inexorable qui l'attend au seuil de l'éternité. Vous croyez peut-être que cette double pensée va le jeter dans le désespoir ?
Nullement. Par l'humble aveu de ses fautes, il a vaincu l'orgueil, et l'orgueil vaincu a fait place dans son cœur à la confiance. Du moins, la conscience du pardon ne va-t-elle pas lui inspirer quelque sentiment d'ambition personnelle, le rendre présomptueux dans ses paroles ou dans ses prétentions ? Le croire serait une erreur. L'amour parfait dont il est rempli pour Notre-Seigneur a chassé l'orgueil, et l'orgueil, c'est l'égoïsme. Dimas, il est vrai, demande le ciel ; mais c'est bien plus pour la gloire de Jésus que pour la sienne. Son amour, nous l'avons vu, n'est pas un amour mercenaire. C'est un amour tellement dégagé de tout intérêt personnel, qu'il le rend digne d'entrer immédiatement dans le séjour du bonheur. Il demande le ciel ; mais avec une modestie que tous les Pères de l'Église ont célébrée et que tous les siècles admirent : «Memento mei : Souvenez-Vous de moi».
L'esquisse précédente nous a permis de reconnaître, dans le bon Larron, les sept vertus dont l'héroïsme est nécessaire à la canonisation des saints. Ce qui en relève l'éclat, est de les voir jaillir, en un clin d'œil, de cette âme de voleur de grand chemin. La puissance de la grâce et la bonté de Dieu furent-elles jamais si dignes d'admiration et de reconnaissance ? Il est admirable, ce grand Dieu, quand, au premier jour de la création, nous l'entendons dire : «Que la lumière soit, et la lumière fut». Admirable, lorsqu'à chacune de Ses paroles, nous voyons sortir pleines de vie, des abîmes du néant, les innombrables créatures qui peuplent la terre, les airs et les mers.
Admirable dans tous les prodiges qui, pendant la vie du peuple juif, manifestent, avec une splendeur éblouissante, Son autorité souveraine sur les éléments. Mais autant le monde des âmes l'emporte sur le monde des corps, autant les merveilles de Dieu, dans l'ordre de la grâce, sont supérieures à ses merveilles dans l'ordre de la nature. Si donc les beautés, visibles à nos yeux corporels, ravissent notre admiration et vont quelquefois jusqu'à jeter le cœur dans le délire : dans quelle extase doivent nous jeter les beautés qui se découvrent aux yeux de la foi ? Entre toutes, nous demandons s'il en est une qui puisse rivaliser avec la conversion radicale, instantanée, héroïque du bon Larron ? Sachons donc l'admirer, et, en l'admirant, aimer Celui qui opère.