Chapitre 29 - Gloire du bon Larron (suite)
Quatrième privilège du bon Larron : compagnon de toutes les douleurs de la sainte Vierge. - Nature de ce privilège. - Remarquables paroles de saint Bernardin de Sienne, du bienheureux Simon de Cassin, du Père Orilia. - Cinquième privilège. - Figure de tous les élus. - Grandeur de ce privilège. - Témoignages de saint Chrysostome, de saint Thomas, de saint Bernard, d'Arnaud de Chartres.
4° Saint Dimas fut le compagnon de toutes les douleurs de la sainte Vierge. Nous avons vu combien vive est la reconnaissance de Notre-Seigneur pour Son courageux avocat. Non moins vive est celle de Marie pour le compagnon de toutes ses douleurs. Sans doute, la sainte Vierge eut pour consolateurs saint Jean et les saintes femmes. Mais tous ces intimes amis gardent le silence. Dans tout le parcours de la Voie douloureuse, et durant la longue agonie de son divin Fils, Marie, abîmée dans la douleur, n'entend qu'une seule parole de consolation, et cette parole sort de la bouche du bon Larron : «Jésus est innocent, Jésus est le Désiré des nations et le Sauveur du monde !» Comme cette parole si inattendue et si courageuse dut inonder de bonheur l'âme de l'auguste Mère ! A son Fils, abandonné de tous, cette parole révélait un ami, non seulement fidèle comme saint Jean, mais intrépide comme personne. A elle-même, elle donnait un consolateur au-dessus de tous les autres ; car il proclamait, à la face du ciel et de la terre, deux vérités dont la manifestation était l'objet de tous ses vœux : l'innocence de son Fils et Sa divinité. Saint Bernardin de Sienne n'hésite pas à penser que le bienheureux Dimas ne s'en tint pas là. «Il n'y a, dit-il, rien d'inconvenant à croire que le bon Larron, ayant survécu à Notre-Seigneur et voyant la profonde douleur de Sa divine Mère, lui ait adressé des paroles pleines d'une tendresse toute filiale.
En devenant chrétien, il était devenu frère de Jésus-Christ ; et il avait raison de reconnaître Marie pour sa vraie Mère». C'est dans cet ordre de rapports, que saint Dimas fut vraiment le compagnon privilégié des douleurs de la sainte Vierge. Dans son Fils, Marie aimait son Dieu, et dans son Dieu, elle aimait son Fils. De ces deux amours, élevés à leur plus haute puissance, naissait dans le cœur de la divine Mère, au spectacle de la croix, une douleur, sans analogue parmi toutes les douleurs. Or, Dimas seul ressentait cette douleur, autant qu'un cœur d'homme peut en être capable ; car, dans Jésus crucifié, il voyait, comme Marie, un Homme-Dieu, mourant pour le salut du monde. A lui seul, de toutes les créatures vivant de la vie présente, fut accordé le privilège d'être associé avec cette plénitude aux angoisses de la divine Mère. Il est vrai, à côté de Marie étaient saint Jean et sainte Madeleine, partageant ses douleurs. «Mais, dit saint Bernardin de Sienne, dans Jésus ils plaignaient un bon Maître. Dans Sa mort, ils pleuraient la mort d'un homme, supérieur à tout autre homme, et non la mort d'un Homme-Dieu, mourant pour le genre humain. Seul, avec Marie, Dimas pleurait en Jésus un Homme-Dieu, et ses consolations furent seules capables d'adoucir les douleurs de l'auguste Mère». Ce privilège paraît si glorieux à l'ange de Sienne, qu'il se plaît à y revenir. Comparant les apôtres au bon Larron, il dit ailleurs : «Depuis trois ans à l'école de Jésus, partout ils avaient entendu Sa doctrine ; partout ils avaient vu ses miracles.
Naguère ils avaient reçu, de Ses mains, Son très saint corps en nourriture, et ils reniaient leur Maître en fuyant. Seul, avec Marie, silencieuse au pied de la croix, le bon Larron croyait du fond de son cœur, et d'une foi inébranlable, que Jésus était le Fils de Dieu». Le bienheureux Simon de Cassia exprime la même pensée. «Seul, dit-il, le bon Larron confesse, par ses paroles, Celui que Marie confesse par son silence. Dans ses horribles souffrances, il fut le compagnon de la sainte Vierge, en partageant sa foi et sa douleur». Abondant dans le même sens, le Père Orilia ajoute : «Un effet, dans ces funestes moments de la Passion, la foi de tous, Marie exceptée, chancela, si elle ne fut pas détruite».L'Évangile même ne nous montre-t-il pas les Apôtres, encore après le jour de la Pâque, en proie à l'incertitude sur la résurrection de leur Maître, par conséquent sur Sa divinité et l'infaillibilité de Ses promesses ? Ne traitent-ils pas de rêveries le récit des saintes femmes qui leur annoncent Sa résurrection ? Notre-Seigneur Lui-même ne leur reproche-t-Il pas leur incrédulité ? Pour les convaincre, n'est-Il pas obligé de descendre, plusieurs fois, à des complaisances infinies, en se laissant toucher et en mangeant avec eux. Ainsi, au témoignage des saints que nous venons de citer, deux personnes seulement, sur le Calvaire, eurent en la divinité du Sauveur une foi complète et inébranlable, Marie et Dimas. Si donc nous avions été au pied de la croix, nous aurions pu consoler l'auguste Mère en lui tenant ce langage : «O Mère de douleurs, consolez-vous !
Vous n'êtes pas seule à pleurer la mort de votre Fils, comme la mort d'un Dieu. Il y a ici quelqu'un qui éprouve une douleur, sinon égale, du moins semblable à la vôtre : c'est ce Larron, crucifié à la droite de Jésus. Éclairé par la lumière de la foi, il sait que votre Fils est vraiment Dieu et vraiment homme, Dieu et homme tout ensemble : comme tel il le confesse et il le pleure». Où trouver, dans l'histoire, un saint favorisé de pareils privilèges ? Il y avait dans Jérusalem un grand nombre de disciples, objet de la prédilection du Sauveur, et pas un ne se signale par une foi aussi entière, aussi robuste que celle du bon Larron. A lui seul est réservée l'insigne faveur de comprendre dans toute leur étendue, et, autant que la faiblesse humaine pouvait le permettre, de partager les ineffables douleurs de Marie. Tel est le point d'où il faut partir, pour mesurer la gloire dont il jouit dans le ciel.
5° Saint Dimas fut la figure de tous les élus. Dans le Vendredi Saint, on a toujours vu l'image anticipée du Jugement dernier. Trois croix se dressent au sommet du Calvaire.À droite, est l'humanité pénitente, qui va monter au ciel. A gauche, l'humanité impénitente, qui tombe dans l'enfer. Au milieu, est l'Homme-Dieu, Juge souverain des vivants et des morts, fixant du haut de Sa croix, devenue le trône de Sa puissance, les destinées éternelles des fils d'Adam. Comme le mauvais larron représente tous les réprouvés, le bon Larron représente tous les élus. Qui peut comprendre une pareille gloire ? Glorieux est l'ambassadeur qui représente un puissant monarque. Mille fois plus glorieux celui qui en représenterait des milliers, plus grands que tous les monarques de la terre. Tels sont les saints qui règnent dans le ciel. Par un privilège unique, saint Dimas, sur la croix, les représente tous. En lui et en lui seul, dans ce moment solennel, brille avec éclat l'insondable miséricorde qui choisit, parmi les enfants des hommes, ceux qu'elle veut élever à la vision béatifique. A lui seul, à lui le premier, est adressée la parole qui consacre tout les élus : Aujourd'hui vous serez avec Moi dans le Paradis. Les Apôtres l'entendront, des milliers de saints et de martyrs l'entendront dans la suite des siècles ; au jour du Jugement tous les prédestinés l'entendront ; mais Dimas l'a entendue le premier. Pendant leur vie, les autres saints, si grands qu'ils soient, n'entendront cette parole que dans le secret de leur conscience, et encore n'est-elle pas toujours assez nette pour les rassurer complètement. Dimas, au contraire, l'entend de ses oreilles, il l'entend de son vivant. Elle lui est dite en présence de milliers de témoins qui l'entendent comme lui, et de tous les anges du ciel qui l'entendent également. Elle est si nette et si explicite, qu'elle ne laisse ni incertitude ni crainte dans le bienheureux qui en est favorisé.
Admirable prérogative, que Notre-Seigneur, si bon, si indulgent, n'accorda jamais à Ses meilleurs amis ! La mère des enfants de Zébédée était Sa parente, elle lui était supérieure par l'âge. Pleine de confiance dans son auguste parenté et dans la prédilection du Sauveur pour ses deux fils, Jacques et Jean, elle vient demander pour eux les premières places dans le royaume de Jésus. Au lieu de la réponse qu'il fit au bienheureux Dimas, il dit à Ses cousins : «Pouvez-vous boire le calice que Je dois boire ? - Nous le pouvons», lui répondent-ils. Il semble qu'alors Notre-Seigneur devait ajouter : «Eh bien, vous serez avec Moi dans le Paradis». Il n'en fut rien. «C'est bien, leur dit-Il, vous boirez Mon calice. Quant à siéger à Ma droite ou à Ma gauche, il ne M'appartient pas de vous accorder cette faveur, elle est pour ceux à qui Mon Père l'a réservée : Non est meum dare vobis, sed quibus paratum est a Patre meo» Ainsi, à personne au monde, ni à saint Jean, Son disciple bien-aimé, ni à saint Pierre, cet autre Lui-même dans le gouvernement de l'Église, ni aux prophètes, ni aux patriarches, Notre-Seigneur n'avait dit : «Aujourd'hui vous serez avec Moi dans le Paradis». Pour notre saint, et pour lui seul était réservé cet incomparable privilège. «Quel est ce mystère ? demande saint Chrysostome. Pourquoi un voleur reçoit-il le premier la promesse du Paradis ? Pourquoi un assassin devient-il, avant tous, citoyen du ciel ? En voici la raison. Le premier homme fut un voleur. Coupable d'avoir pris du fruit de l'arbre défendu, l fut chassé du Paradis. Le voleur du Calvaire est aussi un voleur. Pour avoir pris le fruit de l'arbre de la croix, il est introduit le premier dans le Paradis. Par le bois commence le péché, par le bois commence le salut.
«Dieu l'a voulu, afin d’apprendre à tous les hommes que si, à l'exemple du bon Larron, ils adorent Jésus crucifié, comme leur Seigneur et leur Dieu, ils recevront les mêmes honneurs. Il l'a voulu, afin qu'en Le voyant remettre, sur la croix, tous les péchés du voleur, ils croient qu'Il a, Rédempteur universel, effacé la sentence de condamnation de tout le genre humain. Il l'a voulu, afin de les convaincre que, si, dans la personne du premier Adam, Il a mis hors du Paradis, comme une épine, l'humanité coupable ; dans la personne du larron pénitent, Il l'y a introduite comme une rose». «Ainsi, en lui promettant le ciel, pour le jour même, Il fait de lui, tout à la fois, la figure et le précurseur de tous ceux qui, grâce aux mérites de la rédemption, doivent entrer dans les royales demeures de la bienheureuse Jérusalem». Par les privilèges de saint Dimas, nous pouvons nous faire quelque idée de la gloire dont il jouit dans le ciel. «La grâce, dit saint Thomas, est le commencement de la gloire».
Plus la grâce donnée à l'homme voyageur est grande, sublime, extraordinaire, plus la gloire dont il jouit dans le ciel est éblouissante, plus élevée est la place qu'il occupe. Partons de ce principe, et, nous remettant devant les yeux l'incompréhensible immensité de la grâce dont fut favorisé le bon Larron, concluons que sa gloire est également incompréhensible. C'est de lui, en particulier, qu'il faut dire avec saint Paul : «L'œil de l'homme n'a rien vu, son oreille n'a rien entendu, son cœur même n'a rien su désirer de comparable au bonheur, à la gloire, à la puissance qui sont maintenant et qui seront, aux siècles des siècles, l'apanage du bien-aimé de Notre-Seigneur». Comme, dans les infaillibles conseils de la Providence, les moyens sont toujours proportionnés à la tin, les saints docteurs ne craignent pas d'enseigner que le bon Larron occupe un des trônes les plus élevés de la Jérusalem céleste.
«Lorsque du pressoir de la croix, dit saint Bernardin de Sienne, où Il était foulé par le poids de la douleur, le bon Jésus laissait couler à grands flots le vin de Son amour, qui devait enivrer le monde entier, Il ne se contenta pas d'en donner un petit verre au bon Larron, mais l'âme de ce bienheureux, intimement unie au cœur de Jésus, dut être comme noyée dans l'amour. Aussi, je ne doute pas que le courageux défenseur de Notre-Seigneur ne brille parmi les plus grands princes de la cour du divin Roi». Un autre n'hésite pas à l'appeler l'archange du Paradis, le fils aîné de Jésus crucifié, le martyr et l'apôtre par excellence, le prédicateur de l'univers. «Si Paul, ajoute-t-il, parle comme un Chérubin, Dimas aime comme un Séraphin» Enfin, l'ami de saint Bernard, le pieux et savant Arnaud de Chartres, lui donne dans le ciel le trône même de Lucifer. Pourquoi n'en serait-il pas ainsi ? Quel autre en serait plus digne ? D'une part, nous savons qu'à la suite de Lucifer, il est tombé du ciel des anges de toutes les hiérarchies, et que leurs places, laissées vides, doivent être remplies par les saints. Il y aura donc des saints parmi les Séraphins et les Chérubins, comme parmi les autres cœurs angéliques.
D'autre part, le bon Larron représentait toute l'humanité régénérée. II fut le plus courageux de tous les apôtres, le compagnon fidèle de toutes les douleurs de Notre-Seigneur et de la sainte Vierge, le premier à qui le ciel fut promis. Sa foi, son espérance, sa charité s'élevèrent à un héroïsme incomparable. Pourquoi le premier canonisé de tous les saints n'occuperait-il pas la place du premier prévaricateur ? Quoi qu'il en soit, jamais nous ne pourrons admirer assez la puissance du repentir ; jamais assez l'incompréhensible bonté de notre Dieu. En un clin d'œil, élever une âme couverte de crimes au rang des plus pures et des plus sublimes intelligences : ô repentir, quelle est ta vertu ! En considérant ce que tu as fait, saint Pierre Damien a raison de s'écrier : «Quel prodige ! une paille destinée au feu être un cèdre du Paradis ! un tison d'enfer devenir un des astres les plus brillants du firmament éternel».
Et le repentir dépend de nous !